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Responsabilité civile du fait de la destruction sans autorisation d’espèces protégées

Le 2 mars 2021, la cour d’appel de Versailles a condamné sur le fondement de l’article 1240 du code civil sept sociétés d’exploitation de parcs éoliens à verser à l’association France Nature Environnement1 la somme de 3 500 € en réparation du préjudice moral directement subi en raison de la destruction d’espèces protégées, qui n’avait pas été autorisée par arrêté portant dérogation aux interdictions de destruction de spécimens d’espèces animales et végétales protégées et de leurs habitats (DDEP). Cette décision présente un double intérêt, consistant d’une part en la qualification de la faute et du préjudice (I.) et d’autre part, en la délimitation des pouvoirs de chaque juge en matière de DDEP (II.).

I. LE CARACTÈRE FAUTIF DE LA DESTRUCTION D’ESPÈCES PROTÉGÉES EN L’ABSENCE DE DDEP

La destruction d’une espèce sans autorisation constitutive d’une faute

La destruction d’espèces animales protégées et de leurs habitats est interdite (art. L. 411-1 C. env.) et passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (art. L. 415-3 C. env. dans sa version applicable au litige)2

L’article L. 411-2 du code de l’environnement permet toutefois, notamment aux porteurs de projets immobiliers et énergétiques, de requérir une « dérogation espèces protégées » qui ne pourra être délivrée qu’à trois conditions :

  • absence de solution alternative satisfaisante ;
  • raison impérative d’intérêt public majeur ;
  • maintien dans un état de conservation favorable de l’espèce. 

Dans les faits de l’espèce, 28 Faucons crécerellettes ont été tués à la suite de collision avec des éoliennes entre 2011 et 2016 (élément matériel du délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées). 

La cour d’appel de Versailles a relevé que, dès lors que les sociétés ne justifiaient pas être titulaires d’une DDEP, la faute d’imprudence (élément moral du délit v. Cass. crim, 1er juin 2010, n° 09-87159) devait être regardée comme constituée.

Le rejet de tout argument de nature à exonérer les sociétés de la faute commise

La cour d’appel de Versailles semble livrer une appréciation stricte de la faute : elle se borne à constater que la destruction de l’espèce protégée n’a pas été autorisée, et rejette tout argument qui aurait été de nature à atténuer la faute voire exonérer les sociétés intimées. 

D’une part, la cour d’appel ne reprend pas le raisonnement du TGI de Nanterre3 qui, pour écarter la faute d’imprudence du délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées, avait entendu tenir compte des intérêts publics potentiellement contradictoires consistant en la protection de l’environnement (la faune en l’espèce) et la poursuite d’un objectif d’intérêt général de développement des énergies renouvelables par la mise en place d’éoliennes. 

D’autre part, la cour d’appel estime que la circonstance que les sociétés ont respecté les prescriptions préfectorales de mise en œuvre d’un système de détection et d’effarouchement (DT-BIRD) visant à protéger les oiseaux des collisions avec les éoliennes, est sans effet sur la faute, constituée par l’absence de demande de dérogation les autorisant à détruire des spécimens de Faucons crécerellettes.

II. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE JUGE JUDICIAIRE (CIVIL ET PÉNAL) EN MATIÈRE DE PROTECTION DES ESPÈCES PROTÉGÉES

Les pouvoirs du juge judiciaire

La cour d’appel de Versailles rappelle d’abord que l’absence de constatation d’une infraction pénale par une juridiction répressive ou le prononcé d’une relaxe ne fait pas obstacle à ce qu’une association agréée puisse obtenir réparation du préjudice subi du fait de la destruction d’espèces protégées, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Ensuite, dans le cadre de cette action civile, la cour indique qu’il revient au juge judiciaire de constater l’existence de la violation de l’article L. 411-2 C. env., dès lors qu’aucune dérogation n’a été accordée. En revanche, elle précise que l’appréciation des conditions prévues par ce même article (intérêt public majeur etc.) relève de l’exercice de pouvoirs dévolus aux autorités administratives, qu’il ne lui appartient pas de contrôler.

Enfin, il peut être relevé que l’action avait ici pour seul objet l’engagement de la responsabilité des sociétés et la réparation du préjudice subi par l’association FNE. En d’autres termes, aucune incidence sur la continuité du fonctionnement des éoliennes ou sur la régularisation de la situation des sociétés intimées par la demande et l’octroi d’une DDEP n’est mentionnée par la décision.

 

Résumé des risques contentieux

La décision de la cour d’appel de Versailles ainsi que de récents arrêts du juge administratif donnent l’occasion de synthétiser les risques contentieux encourus par les porteurs de projets ENR ou immobiliers en l’absence de DDEP alors que celle-ci était requise en raison du risque de destruction des espèces ou de leurs habitats4

  • autorisation environnementale (AE) : risque de recours contre une AE (cas des projets éoliens, art. R. 425-29-2 C. urb.) ne comprenant pas de dérogation devant le juge administratif ;
  • autre autorisation qu’une AE : irrégularité de l’exécution d’un permis de construire avant la délivrance de la dérogation (art. L. 425-15 C. urb.)6 : risque d’arrêté interruptif des travaux ;
  • dans tous les cas :
    • risque de recours contre la décision de rejet de la demande tendant à ce qu’il soit exigé du porteur d’un projet de parc éolien qu’il présente une demande de DDEP7 ;
    • action civile sur le fondement de l’article 1240 du code civil en raison de la faute d’imprudence du délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées ;§action pénale pour délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées.

 

Précisions

L’association France Nature Environnement (FNE) est une association agréée pour la protection de l’environnement (art. L. 141-1 C. env.)

2 L’article L. 415-3 du code de l’environnement, modifié par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019, prévoit que le fait de porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques est désormais puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000€ d’amende. En application de l’article 131-6 11° du code pénal, il semble  également possible pour le juge, comme alternative à la peine de prison, de prononcer pour une durée maximale de 5 ans, l’interdiction à une personne physique (par ex. au représentant légal d’une société) d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. 

3 TGI Nanterre, 16.05.19, n° 17/05606

CAA Bordeaux, 9.03.21, n° 19BX04970

5 Une AE est illégale du fait de l’absence d’une DDEP requise. En conséquence, le juge pourra prononcer une annulation partielle de l’AE ou sursoir à statuer laissant au porteur du projet la possibilité d’obtenir une DDEP dans un délai qu’il aura fixé (art. L. 181-18 C. env., v. par ex. délai d’un an – CAA Nantes, 6.10.20, n° 19NT02389).

En application du principe de l’indépendance des législations, la légalité d’un PC n’est pas affectée par l’absence de DDEP. Seule son exécution l’est.

CAA Bordeaux 9.03.21, n° 19BX03522

Pour une étude complète, v. Bourrel A. et Descubes L., « La DDEP en matière d’installations de production d’énergie renouvelable : entre incertitudes et tentatives de clarification », Energie, environnement, infrastructures, n° 12, décembre 2020.

Une loi pour (enfin) codifier la procédure d’abrogation des cartes communales et accompagner (encore) les conséquences de la caducité des POS

La proposition de loi « visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols » a été adoptée en 1ère lecture par le Sénat et est en cours d’examen par l’Assemblée Nationale. Il est proposé de préciser, au sein du code de l’urbanisme, les étapes des procédures d’abrogation de cartes communales (art. L. 164-1 et s. CU)1 et de mettre à la disposition des territoires non couverts par un document d’urbanisme – compte tenu de la récente caducité des POS2 – trois dispositifs spécifiques de droit de préemption urbain, de sursis à statuer et de dérogation au RNU (futurs art. L. 174-5-1 et s. CU).

I. LES FUTURES PROCÉDURES D’ABROGATION DES CARTES COMMUNALES


Si la proposition de loi est adoptée sans amendement, le code de l’urbanisme devrait désormais détailler les différentes étapes procédurales à suivre pour abroger les cartes communales, qu’il s’agisse d’une procédure d’abrogation « classique » ou liée à l’entrée en vigueur d’un PLU sur le territoire couvert initialement.

Abrogation dite « classique » d’une carte communale

Le principe du parallélisme des formes serait ici consacré. Il ressort en effet de la proposition de loi que la procédure d’abrogation d’une carte communale devrait tout d’abord être prescrite par délibération de l’organe délibérant de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de PLU, document en tenant lieu et de carte communale.

Le dossier d’abrogation de la carte communale devrait ensuite être soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement et, à son issue, une délibération d’approbation d’abrogation serait adoptée par l’organe délibérant.

L’abrogation de la carte communale serait enfin soumise à l’autorité administrative compétente de l’Etat qui dispose d’un délai de deux mois à compter de sa transmission pour l’approuver, le silence valant approbation.

Abrogation de la carte communale par la prescription puis l’approbation d’un PLU

La délibération de prescription d’un PLU pourrait prévoir explicitement que l’approbation dudit plan vaudra également abrogation de la carte communale en vigueur sur le territoire concerné, afin de mettre un terme  à un vide juridique préjudiciable à la bonne administration et à la simplification des procédures.

L’abrogation de la carte communale et le PLU feraient l’objet d’une enquête publique unique et seraient approuvés par une délibération unique de l’organe délibérant.

L’abrogation de la carte communale ne deviendrait alors exécutoire qu’une fois le PLU entré en vigueur (dans les conditions prévues aux art. L. 153-23 et L. 153-24 CU). L’approbation de l’abrogation de la carte communale par l’Etat ne serait dans ce cas pas requise.

Un PLU ne pourrait entrer en vigueur qu’à compter de l’abrogation de la carte communale applicable sur le territoire.

II. TROIS DISPOSITIFS DÉROGATOIRES DEVRAIENT BÉNÉFICIER AUX TERRITOIRES DÉPOURVUS DE DOCUMENT D’URBANISME POUR ACCOMPAGNER LES CONSÉQUENCES DE LA CADUCITÉ DES POS


Pour atténuer certaines conséquences jugées punitives de la caducité des POS2 sur les territoires concernés, il est proposé de mettre à disposition des maires ou présidents d’EPCI trois outils. Ces dispositifs s’appliqueraient jusqu’à l’entrée en vigueur d’une carte communale ou d’un PLU et au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2022. 


Droit de préemption et sursis à statuer


Le droit de préemption urbain, en vue de la poursuite des objectifs prévus à l’article L. 210-1 et au dernier alinéa de l’article L. 211-13 peut être maintenu par délibération de l’organe délibérant de la commune, par dérogation à l’article L. 211-1 du CU qui conditionne normalement l’exercice du droit de préemption urbain par le maire ou le président de l’EPCI à l’existence d’un document d’urbanisme.

En outre, un nouveau mécanisme de sursis à statuer (SAS) déroge au SAS classique en étant doté d’un champ d’application plus étendu (4). En effet la commune peut proposer au préfet de département de sursoir à statuer sur toute demande d’autorisation d’urbanisme, en motivant cette proposition au regard de l’intérêt communal et, le cas échéant, des orientations du PLUi en cours d’élaboration, quel que soit l’état d’avancement de sa procédure d’élaboration. 


La décision de refus de sursoir à statuer doit être motivée par le préfet et peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.

Dérogation au RNU au nom de l‘Etat

Pour toute demande d’autorisation d’urbanisme5, le maire d’une commune peut demander au préfet de département – dont l’avis conforme est obligatoirement recueilli au titre de l’article L. 422-5 du CU en l’absence de document d’urbanisme – de faire usage du pouvoir de dérogation au RNU prévu à l’article L. 111-2 du CU :

« Un décret en Conseil d’Etat précise les dispositions du règlement national d’urbanisme et prévoit les conditions et les procédures dans lesquelles l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire peut accorder des dérogations aux règles édictées par ce règlement ». Art. L. 111-2 CU

Cette demande de dérogation doit être motivée au regard de l’intérêt communal.

L’éventuel refus du préfet doit être motivé et peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.

Quelques précisions

  1. La procédure d’abrogation des cartes communales n’était prévue par aucun texte. Guidée par la jurisprudence, la pratique appliquait jusqu’alors le principe du parallélisme des formes (délibération de prescription, enquête publique, délibération d’abrogation) pour y procéder.
  2. Les derniers POS applicables sur le territoire national sont devenus caducs au 31 décembre 2020 en application de l’article L. 174-5 CU.
  3. Mise en œuvre d’un projet d’intérêt général (habitat, activité économique, loisirs, tourismes, équipements collectifs, relocalisation d’activités économiques etc.)
  4. En principe, lorsqu’un PLU est en cours d’élaboration, l’autorité compétente en matière d’autorisation d’urbanisme peut sursoir à statuer sur les demandes d’autorisation d’urbanisme uniquement dès lors que le débat sur les orientations du PADD a eu lieu et que la demande est susceptible de compromettre l’exécution du futur plan ou de la rendre plus onéreuse (art. L. 153-11 CU).
  5. L’application du RNU entraine notamment l’application de la règle de la constructibilité limitée et l’obligation d’obtenir un avis conforme de l’Etat sur toutes les demandes d’autorisation d’urbanisme

Abréviations


CU : code de l’urbanisme
PLU : plan local d’urbanisme
POS : plan d’occupation des sols
RNU : règlement national d’urbanisme
SAS : Sursis à statuer