Le Conseil d’État, par sa décision n°442946 du 19 avril 2022, apporte de nouvelles précisions sur les conditions dans lesquelles la location meublée peut être considérée comme une activité économique au sens du régime du sursis d’imposition des plus-values (CGI, art. 150-0 B). Cette décision, bien que rendue sous l’empire du régime de l’article 150-0 B du CGI, nous paraît transposable au régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI.
L’exigence d’un réinvestissement économique
L’article 150-0 B du CGI permet de mettre en sursis d’imposition la plus-value générée par l’apport de titres d’une société à une autre société (non contrôlée par l’apporteur) soumise à l’impôt sur les sociétés (IS). La jurisprudence considère que la cession, par la société bénéficiaire de l’apport, des titres apportés est de nature à remettre en cause le sursis d’imposition pour abus de droit, sauf en cas de réinvestissement du produit de cession dans une « activité économique ». L’article 150-0 B ter, en vigueur à compter du 1er janvier 2013, est venu créer le régime du report d’imposition, applicable lors de l’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur. Ce dernier régime prévoit, explicitement cette fois, la possibilité de maintien du report d’imposition en cas de cession des titres apportés, à la condition que le produit de cession soit réinvesti, à bref délai et dans une proportion significative, dans des activités économiques (à l’exception expresse des activités de gestion par la société de son propre patrimoine mobilier ou immobilier).
Le réinvestissement dans la location meublée n’est pas un réinvestissement « économique » …
Si l’activité de location meublée est considérée comme commerciale au sens des articles 34 et 35 du CGI, le Comité de l’abus de droit fiscal avait déjà exclu cette activité du champ de l’article 150-0 B du CGI, en considérant qu’elle n’était pas éligible au réinvestissement économique (Avis CADF 2012-51 et 2016-10). Le régime de l’article 150-0 B ter prévoit quant à lui que les « activités de gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier sont exclues du bénéfice » de la dérogation. Le BOFiP (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 §310) précise cette exclusion en indiquant que l’acquisition de biens destinés à la location, qu’elle soit nue ou meublée, revêt un caractère patrimonial non-éligible au remploi. Le Conseil d’État confirme donc cette interprétation en exposant qu’en principe, « une activité de loueur en meublé ne peut être regardée comme un investissement à caractère économique ».
… sauf dans deux hypothèses qui restent à préciser
Dans la décision commentée, le Conseil d’État nuance toutefois sa position en admettant deux exceptions : -Le réinvestissement dans une « activité de location meublée effectuée par le propriétaire dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d’hébergement », qui paraît correspondre à la location assortie de services para hôteliers ; -Le réinvestissement dans une activité qui implique pour le propriétaire de l’activité de loueur en meublé, « alors qu’il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains ». De nombreuses interrogations pratiques subsistent pour autant. La « prestation d’hébergement » évoquée par le Conseil d’État correspond-elle bien au régime de la para-hôtellerie prévu par l’article 261 D 4° du CGI ? Les conditions seront-elles identiques à celles régissant l’assujettissement à TVA des loyers ? Une telle prestation pourrait-elle être sous-traitée à un gestionnaire, même si le propriétaire en assume les risques ? S’agissant de la deuxième hypothèse, le choix de la Haute juridiction de ne pas se référer à la location meublée « professionnelle » (telle que résultant de l’article 155 IV du CGI) semble créer une nouvelle notion d’une location meublée « économique », impliquant pour celui qui exerce l’activité qu’il mette en œuvre des moyens qualifiés « d’importants ». Or, que sont ces moyens ? Impliquent-ils le recours à des salariés, même si l’associé s’investit personnellement dans l’activité ? Faut-il que l’activité porte sur plusieurs immeubles ? Ces questions en suspens sont autant d’incertitudes pour le chef d’entreprise qui cherche à réinvestir sereinement le fruit de son travail.
Demande de rescrit général
En l’absence de précisions suffisantes sur les modalités d’exploitation des activités locatives éligibles, il est vivement recommandé aux chefs d’entreprise concernés de sécuriser leur opération au moyen d’un rescrit afin d’obtenir une prise de position formelle de l’administration fiscale.
Location meublée et régime du pacte Dutreil
Le bénéfice du régime du pacte Dutreil est également soumis à une condition d’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (i.e. une activité économique), à l'exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier (cf. notre précédent bulletin sur le sujet). Au titre de ces dernières activités non-éligibles, le BOFiP mentionne les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation. Il ne prend toutefois pas position quant à l’activité para-hôtelière ; celle-ci, commerciale par nature, devrait donc être éligible. Pour autant, la doctrine administrative mentionne la nécessité qu' "une véritable entreprise" soit transmise, ce qui suppose donc l'existence de moyens matériels et humains. Ne serait-ce donc pas là le pendant de la nécessité de "la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains" évoquée par le Conseil d'Etat dans la décision ici commentée ?