A qui reviennent les distributions de réserves en cas de démembrement de titres sociaux ?
A qui reviennent les distributions de réserves en cas de démembrement de titres sociaux ?
En l’espace d’un an, la Cour de Cassation a été amenée à se prononcer sur cette question à l’occasion de trois affaires distinctes (Cass. Com., 27 mai 2015 n° 14-16246 ; Cass. Com., 24 mai 2016, n°15-17788 ; Cass. Civ. 1ère, 22 juin 2016, n° 15¬-19471) desquelles se dégage une jurisprudence subtile mais encore lacunaire faute de certaines précisions expresses.
Etat des lieux des enseignements à retenir.
L’USUFRUITIER EXERCE SON DROIT DE JOUISSANCE SOUS LA FORME D’UN QUASI-USUFRUIT
La propriété des fruits et produits à l’origine de la problématique étudiée
La distinction civiliste entre fruits et produits repose sur le constat selon lequel les seconds, contrairement aux premiers, ne peuvent être retirés du bien concerné sans en altérer la substance : en conséquence, ils sont la propriété du seul nu-propriétaire et les premiers du seul usufruitier.
Appliquée au démembrement de titres sociaux, la question de la qualification des distributions de réserves s’est posée en ces termes afin de désigner qui de l’usufruitier ou du nu-propriétaire devait en bénéficier.
Or, la réponse à cette question a fait l’objet de vives discussions en doctrine dans le silence de la jurisprudence.
Une qualification de produits permettant un quasi-usufruit
En dépit d’un certain nombre de discussions, les arrêts commentés nous apportent toutefois la certitude selon laquelle c’est parce que ces distributions de réserves sont constitutives de produits revenant au nu-propriétaire (arrêt de juin 2016) que l’usufruitier exerce sur ces dernières, sauf convention contraire, son droit de jouissance sous la forme d’un quasi-usufruit trouvant son origine dans la loi (arrêts de mai 2015 et mai 2016).
Sans entrer dans les aspects techniques des questions restant en suspens, il est toutefois primordial de relever que tant la rédaction de la convention de démem-brement que celle des statuts doit faire l’objet d’un soin particulier afin de ne pas compromettre ces mécanismes.
LES CONSEQUENCES JURISPRUDENTIELLES RETIREES DE CETTE SITUATION JURIDIQUE
L’usufruitier : simple détenteur des produits
L’exercice, par l’usufruitier, de son droit de jouissance sur les distributions de réserves sous la forme d’un quasi-usufruit correspond au report, sur ces dernières, du démembrement de propriété des titres sous-jacents et non à leur attribution à son profit : il n’en est donc que détenteur et non propriétaire.
C’est pourquoi la Cour de Cassation a jugé que l’usufruitier se trouvait alors tenu d’une dette de restitution d’égal montant exigible au terme du démembrement, de sorte que ces sommes :
- Etaient déductibles de l’actif succes-soral de l’usufruitier suite à son décès (arrêt de mai 2015) ;
- Etaient constitutives d’un passif dé-ductible de l’assiette taxable à l’ISF de l’usufruitier (arrêt de mai 2016).
L’interprétation à donner de l’arrêt de juin 2016
D’aucuns ont pu voir dans cet arrêt de la 1ère chambre civile une remise en cause de la jurisprudence de la chambre com-merciale dans la mesure où elle juge, pour atteindre l’objectif manifestement poursuivi, que « l’usufruitier (…) n’a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve, lesquels constituent l’accroisse-ment de l’actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire ».
Nous considérons néanmoins cette juris-prudence cohérente car la 1ère chambre civile ne fait que confirmer que le propriétaire des réserves distribuées est le nu-propriétaire afin de juger, en consé-quence, que les sommes concernées devaient être inscrites à l’actif de l’indi-vision successorale formée par les héritiers en nue-propriété de l’associé décédé.
Rappel
Lorsqu’un usufruit porte sur des choses consomptibles telles des sommes d’argent, l’article 587 du code civil permet à l’usufruitier d’en jouir à charge pour lui d’en restituer l’équivalence au terme : c’est le quasi-usufruit.
A noter
La Cour de Cassation (Cass. Com., 10/02/2009, n° 07-21806) a d’ores et déjà pu juger que la mise en réserve de bénéfices ne s’analyse pas en une donation consentie par l’usufruitier au profit du nu-propriétaire. En effet, « les béné-fices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits (NDLR : revenant à l’usufruitier) que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels (ne naissent qu’après) l'approbation des comp-tes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ».
Vigilance cependant lors de chaque situation d’espèce afin de ne pas encourir l’abus de droit…
Le mot du cabinet
Le démembrement portant sur des droits sociaux se reportant, sauf convention contraire entre les parties, sur le boni de liquidation en cas de dissolution de la société (Cass. Civ. 1ère, 8 mars 1988, n° 86-11144), pourquoi ne pas traiter la distribution de réserves en une appréhension anticipée de ce boni ?