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Le caractère parfait d‘une vente domaniale : délibérer c‘est délibérer, une vente ne peut plus être annulée

Après qu’une personne publique ait adopté une délibération approuvant la cession d’un de ses biens immobiliers, celle-ci peut-elle faire l’objet d’un retrait ? 

Dans une décision du 26 janvier 2021 dite « société Pigeon » (n° 433817, Tab.Leb.), le Conseil d’État estime que la personne publique à l’origine de cette cession ne peut régulièrement retirer la délibération approuvant la vente. En effet, la décision de l’organe délibérant a pour effet de parfaire la vente dès lors qu’elle a pour objet de caractériser, entre les parties, un accord sur la chose et sur le prix. Ainsi, la décision devient créatrice de droits et ne pourra être retirée qu’en cas d’illégalité dans un délai de quatre mois, faute de quoi la personne publique sera susceptible d’engager sa responsabilité. 

LES ÉLÉMENTS CARACTÉRISANT LA FORMATION D’UNE VENTE PARFAITE

Une vente est parfaite en cas d’accord sur la chose et le prix 

En vertu de l’article 1583 du code civil, la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

Dans sa décision société Pigeon de 2021, le Conseil d’État rappelle que les dispositions précitées relatives au caractère parfait des ventes sont applicables aux cessions immobilières des personnes publiques. 

Ainsi, lorsque l’autorité compétente approuvera la vente1 d’un bien immobilier, celle-ci sera considérée comme parfaite dès lors que cette décision matérialisera un accord sur la chose mais également sur le prix.

Concernant la chose, puisque le vendeur à l’obligation de délivrer le bien, il s’agira dès lors pour les cocontractants d’identifier précisément celui-ci. Pour le prix, il est nécessaire que ces derniers déterminent une contrepartie par application de l’article 1591 du code civil qui dispose que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ».*

Une certaine souplesse dans la détermination de la chose et du prix

La chose et le prix peuvent ne pas être précisément déterminés. Cela étant, ils devront être à tout le moins déterminables lors de la formation de la vente.

La Cour de cassation a ainsi validé une cession immobilière dont la localisation de la partie « à détacher » n’était pas établie (cfCass., 3èmeciv., 30 janvier 2008, n° 06-20.551). Le Conseil d’État quant à lui, admet le caractère parfait de la vente dont « le terrain (…) était composé de la totalité de cinq parcelles cadastrées ainsi que d’une sixième parcelle « en partie » et un bornage était prévu pour définir les surfaces exactes cédées ».

Il en est de même pour le prix, la Cour de cassation précise qu’il n’est « pas nécessaire que le montant (…) soit fixé, dans le principe, d’une manière absolue ; qu’il suffit, pour la formation de la vente, que le prix puisse être déterminé, en vertu des clauses du contrat, par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus de la volonté, ni de l’une ni de l’autre des parties »2. Le Conseil d’État dans l’affaire d’espèce a repris cette acception du prix en se contentant d’un « prix initial objectivement déterminable(…) par mètre carré ».

UNE CESSION SANS CONDITION CARACTÉRISE UNE VENTE PARFAITE 

Une vente inconditionnelle est créatrice de droits 

La décision de l’assemblée délibérante se prononçant sur une cession domaniale, dans laquelle sont déterminés  la chose et le prix, tout en ne soumettant la vente à aucune condition, sera constitutive d’une décision créatrice de droits3 (CE, 29 juillet 2020, n° 427738, Tab. Leb.) et en ce cas, la vente sera considérée comme parfaite au sens du code civil (CE, 15 mars 2017, n° 393407, Tab. Leb.). 

Une fois la vente considérée comme parfaite, la propriété est acquise de droit  à l’acheteur à l’égard du vendeur. Dès lors, la personne publique ne pourra, en vertu de l’article L. 242-1 du CRPA, abroger ou retirer cette décision que dans un délai de quatre mois à compter de son édiction et uniquement si elle est illégale.

Il en résulte que les délibérations des collectivités territoriales et autres personnes publiques engagent ces dernières. Le Conseil d’État en 2021 considérant même qu’un retrait pour un motif d’intérêt général ne pouvait être légalement justifié.

Une vente conditionnée n’est pas encore créatrice de droits

Toutefois, s’il s’avère que la vente était conditionnée, l’acte ne deviendra créateur de droits qu’une fois les conditions réalisées. Il a en effet été jugé que « si la délibération d’un conseil municipal autorisant la cession d’un immeuble du domaine privé de la commune constitue en principe un acte créateur de droits, il n’acquiert toutefois ce caractère, lorsqu’une condition est mise à la cession, que lorsque cette condition est réalisée » (CAA Paris, 15 février 2018, n° 16PA01770). 

Nombreuses seraient ici les conditions précisées dans une délibération qui s’opposeraient à ce que la vente puisse être considérée comme parfaite avant leur réalisation (obtention d’un permis de construire, obtention d’un prêt, pré-commercialisation, etc.).

Dans ce cas, la délibération pourra être abrogée pour tout motif et sans condition de délai (art. L. 243-1, CRPA). En revanche, son retrait n’est possible que si la délibération est illégale et uniquement dans un délai de 4 mois à compter de son édiction (art. L. 243-3, CRPA). 

Quelques précisions

 

1 Pour la cession d’un immeuble d’une personne publique, l’organe  délibérant doit se prononcer sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles (voir les articles L. 2241-1L. 3213-2L. 4221-4L. 5211-37 et L. 5722-3 du CGCT).

2 C’est la Cour de Cassation dans un arrêt du 7 janvier 1925 dit « Maljournal c/ Senèze » qui a considéré que le prix pouvait ne pas être déterminé.

3 Il en ira ainsi également des ventes conclues entre personnes publiques, et notamment concernant un bien appartenant au domaine public en application de l’article L. 3112-1  du CGPPP (CE, 29 juillet 2020, n°  427738, Tab. Leb.).

Tous les loueurs en meublé professionnels (« LMP ») sont désormais assujettis aux cotisations sociales !

Jusqu’à présent, les loueurs en meublé dont les recettes excédaient 23.000 € mais qui n’étaient pas inscrits au registre des commerces et des sociétés (« RCS ») pouvaient ne pas relever du régime des cotisations sociales (« Sécurité sociale des indépendants »). L’article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 vient dorénavant assujettir aux cotisations sociales l’ensemble des « LMP » en renvoyant à la définition fiscale comme critère d’affiliation. En pratique, l’assiette de ces cotisations sera réduite du fait des amortissements déductibles et l’impact majeur de cette mesure n’interviendra qu’en cas de cession de l’immeuble donné en location  

 

UN RÉGIME FISCAL ET SOCIAL DES « LMP » JUSQU’ICI HYBRIDE

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Les critères du régime LMP

Initialement, 3 conditions étaient requises (art. 155 IV 2 du CGI) pour caractériser l’activité de « LMP » : ✓les recettes annuelles du  foyer fiscal tirées de cette activité excèdent 23.000 € ; ✓Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal dits « professionnels » ; ✓Un membre du foyer fiscal est inscrit au RCS en tant que loueur professionnel. ➔ Il était possible de rester « LMNP » en cas de non inscription volontaire au RCS. Toutefois, la condition d’inscription au RCS a été jugée inconstitutionnelle le 8 septembre 2018 et a eu pour effet de transformer automatiquement en « LMP » nombre de « LMNP » non inscrits. C’est seulement la loi de finances pour 2020 qui a entériné cette décision en modifiant l’art. 155 IV 2 du CGI : désormais, seules 2 conditions demeurent pour être automatiquement qualifié de « LMP » (seuil de recettes > 23.000 € + qui excèdent les revenus professionnels du foyer).

 

Les critères d’affiliation aux cotisations

En matière sociale, l’art. L.611-1-6° du Code la sécurité sociale prévoit les conditions dans lesquelles un loueur en meublé relève des cotisations sociales (taux max. d’environ 41% pour le régime « SSI ») et non des prélèvements sociaux (taux de 17,2%). Jusqu’à la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale 2021, un loueur en meublé relevait des cotisations sociales, lorsque les recettes annuelles tirées de cette activité excédaient 23.000 € et que : ➢Soit les locaux étaient loués pour une courte durée (location saisonnière) ; ➢Soit il était inscrit au RCS (renvoi à l’art. 155 IV 2 1° du CGI) ➔ La majorité des loueurs en meublé n’était pas inscrite au RCS et relevait donc du régime des prélèvements sociaux (taux de 17,2%) et non du régime des cotisations sociales.  

DÉSORMAIS HARMONISÉ

 

Tous les LMP sont désormais assujettis aux cotisations sociales

L’article 22 précité modifie l’art. L.611-1-6° et supprime la condition d’inscription au RCS comme critère d’affiliation et la remplace par un renvoi à l’article 155 IV 2 du CGI. Concrètement, cela signifie que dès que les deux conditions pour être « LMP » sont remplies, l’assujettissement aux cotisations sociales est automatique (3 régimes distincts existent – micro-entrepreneur, régime général et « SSI » – en fonction du montant des recettes annuelles et de l’option retenue). A défaut de précision, cette modification entre en vigueur le 1er janvier 2021 (non applicable aux revenus 2020).  

Un impact limité lors de l’exploitation de l’immeuble mais important en cas de cession

L’impact en serait toutefois limité puisque l’assiette des cotisations sociales (régime « SSI ») est le bénéfice net issu de l’exploitation. Au cours de l’exploitation, le bénéfice net est fortement réduit voire nul du fait de la déduction de l’amortissement de l’immeuble loué et des meubles (règle des « BIC »). Dans ce cas, il existe une cotisation minimale annuelle applicable (env. 1,2k€). En revanche, l’impact sera conséquent en cas de cession de l’immeuble loué puisque la plus-value à court terme (i.e. elle correspond aux amortissements déduits), fût-elle exonérée fiscalement, sera soumise aux cotisations sociales pour sa totalité.  

La location meublée via un intermédiaire de l’immobilier

La réponse ministérielle Pellois (n°3619 du 10 juillet 2018) est venue préciser que les revenus tirés d’une location meublée par le biais d’une agence immobilière bénéficiaire d’un mandat de gestion, sont soumis aux prélèvements sociaux (17,2%). Si l’article L.611-1-6° modifié ne distingue pas entre location meublée en direct ou via un intermédiaire pour l’assujettissement aux cotisations sociales, il devra être confirmé que cette modification s’applique également en cas de location via un intermédiaire.

 

La parution d’un décret d’application

Il est prévu la parution d’un décret d’application permettant de coordonner l’application des critères et préciser certains points (quid si la location meublée est réalisée par une personne morale?) Pour rappel, lorsque la location est consentie par une société soumise au régime des sociétés de personnes (SARL de famille), le dépassement du seuil de 23.000 € doit être apprécié, non au niveau de la société, mais au niveau des associés à concurrence de leurs droits dans les bénéfices sociaux. Enfin,  l’étude d’impact du PLFSS 2021 mentionne que l’entrée dans le régime est définitive, « même si le seuil d’affiliation n’est plus atteint dans les années suivantes » !  

Le certificat de projet : un outil aux bénéfices mesurés

Créé à titre expérimental par l’ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’un certificat de projet, puis pérennisé par l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, le certificat de projet codifié aux articles L. 181-5 et suivants du code de l’environnement se distingue du certificat de projet institué à titre expérimental par la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 dont les modalités d’application restent à déterminer. En matière d’autorisation environnementale, le certificat de projet permet au pétitionnaire d’identifier les régimes, procédures et décisions nécessaires pour réaliser son projet, en lui offrant un cadrage en amont du dépôt de la demande d’autorisation environnementale et en réduisant les risques d’irrégularité du dossier, dont le montage s’avère souvent complexe (I). Toutefois, son utilité doit être nuancée eu égard à ses effets, somme toute limités (II).

I. UN CADRAGE EN AMONT CLARIFIANT LA PROCÉDURE DE DEMANDE D’AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE

L’identification des régimes applicables

Le porteur d’un projet soumis à autorisation environnementale (certains projets immobiliers de grande importance, parc éolien, etc.) peut déposer une demande de certificat de projet auprès du préfet de département, en amont du dépôt de sa demande d’autorisation environnementale (art. L. 181-5 c. env.
et s.). 

Dans un délai de deux mois1 et en fonction des informations transmises par le pétitionnaire, le préfet établit un document indiquant :

  • les régimes, procédures et décisions relevant de sa compétence, auxquels le projet envisagé est soumis (autorisation de défrichement, DDEP, loi sur l’eau, etc.) ;
  • les principales étapes de l’instruction et la liste des pièces requises pour chacune d’elles, permettant de s’assurer du caractère complet du dossier ;
  • la situation du projet au regard des dispositions relatives à l’archéologie préventive.

De plus, il est loisible au préfet de mentionner les autres régimes, procédures et décisions dont le projet est susceptible de relever ainsi que de transmettre des informations qu’il estime utiles, notamment les éléments de nature juridique ou technique qui pourraient faire obstacle à la réalisation du projet.

La mention obligatoire des délais d’instructions

Outre une vision plus claire des étapes procédurales, le certificat de projet comporte également l’indication des délais d’instruction règlementairement prévus. 

A cet égard, le préfet peut fixer un calendrier d’instruction dérogatoire aux délais règlementaires pour les procédures et décisions identifiées, qui engage l’administration et le pétitionnaire, à condition que ce dernier :

  • contresigne le calendrier d’instruction ;
  • le retourne au préfet dans un délai d’un mois après la notification. 

Toutefois, ces calendriers d’instruction dérogatoires ne semblent que très rarement mis en œuvre, le guichet unique instauré par les ordonnances de 2014 et 2017 ayant généré un engorgement des services instructeurs.

La DRIEE Île de France a ainsi constaté en 2020 que la durée globale d’instruction des procédures n’avait pas diminuée, avec une instruction moyenne de 10 mois et 27 jours pour l’autorisation environnementale d’une ICPE2

 II. LA PORTÉE LIMITÉE DU CERTIFICAT DE PROJET POUR LE PÉTITIONNAIRE

Une cristallisation réservée aux friches

Initialement, le certificat de projet mis en place par l’ordonnance du 20 mars 2014 avait pour effet de cristalliser les règles applicables pendant dix-huit mois à l’instar du certificat d’urbanisme. 

En ce sens, si une demande d’autorisation environnementale était déposée dans les dix-huit mois suivant la notification du certificat, la règlementation applicable à cette demande était celle en vigueur à la date de la délivrance dudit certificat. 

Cet effet cristallisateur ayant été jugé trop complexe à mettre en œuvre3, il n’a pas été repris par l’ordonnance de 2017. Dès lors, une évolution des règles juridiques applicables au projet entre le moment de la délivrance du certificat de projet et celui de la délivrance de l’autorisation environnementale n’est pas à exclure, générant incertitudes et insécurité pour le porteur de projet. 

Toutefois, il est intéressant de relever que la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 a prévu à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la possibilité pour le porteur d’un projet immobilier intégralement  situé sur une friche, sous certaines conditions, de demander un certificat de projet, avec une cristallisation des règles d’urbanisme applicables 4.

Une responsabilité de l’administration limitée

Le certificat de projet revêtant un caractère indicatif et ne préjugeant pas de la délivrance future de l’autorisation environnementale, les informations qu’il contient ne peuvent être invoquées à l’appui d’un éventuel refus ultérieur d’autorisation environ-nementale

Par ailleurs, si le pétitionnaire n’est pas dépourvu de toute possibilité d’action puisque les informations contenues dans le certificat de projet engagent la responsabilité de l’administration « lorsque leur inexactitude ou la méconnaissance des engagements du calendrier a porté préjudice au bénéficiaire du certificat » (art. L. 181-6 c. env.) ce recours semble également limité puisque ces informations dépendent de celles transmises par le pétitionnaire.

Conseil opérationnel : le caractère complet du certificat de projet étant subordonné aux informations transmises par le pétitionnaire lors de la demande du certificat de projet
(art. L. 181-6 du code de l’env.), il convient de fournir des informations précises et détaillées afin d’optimiser les bénéfices conférés par le certificat de projet.

Quelques précisions

Le délai de deux mois court à compter de l’accusé de réception du dossier complet de la demande. Il peut être prolongé d’un mois par le préfet qui en informe le demandeur et motive cette prolongation.

Cf. la charte d’engagement entre la DRIEE Île-de-France et les bureaux d’études publiée par la DRIEE en septembre 2020 pour instruire plus vite les dossiers de demande d’autorisation environ-nementale.

Rapport ministériel de décembre 2015 sur l’évaluation des expérimentations de simplification en faveur des entreprises dans le domaine environnemental.

Article 212 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « loi climat et résilience ») pour lequel un décret en Conseil d’État définissant les modalités d’application était initialement prévu en janvier 2022.

Les tiers peuvent-ils contester un certificat de projet ? (non)

Dans une décision du 27 décembre 2018, n° 17BX00034, la CAA de Bordeaux a jugé que les tiers ne disposaient pas d’un intérêt à agir à l’encontre d’un certificat de projet. Eu égard aux effets qu’il produit, les informations qu’il contient n’affectent que le porteur de projet.

Abréviations

CAA : cour administrative d’appel

DDEP : dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées et de leurs habitats

DRIEE: Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie 

ICPE: installation

Responsabilité civile du fait de la destruction sans autorisation d’espèces protégées

Le 2 mars 2021, la cour d’appel de Versailles a condamné sur le fondement de l’article 1240 du code civil sept sociétés d’exploitation de parcs éoliens à verser à l’association France Nature Environnement1 la somme de 3 500 € en réparation du préjudice moral directement subi en raison de la destruction d’espèces protégées, qui n’avait pas été autorisée par arrêté portant dérogation aux interdictions de destruction de spécimens d’espèces animales et végétales protégées et de leurs habitats (DDEP). Cette décision présente un double intérêt, consistant d’une part en la qualification de la faute et du préjudice (I.) et d’autre part, en la délimitation des pouvoirs de chaque juge en matière de DDEP (II.).

I. LE CARACTÈRE FAUTIF DE LA DESTRUCTION D’ESPÈCES PROTÉGÉES EN L’ABSENCE DE DDEP

La destruction d’une espèce sans autorisation constitutive d’une faute

La destruction d’espèces animales protégées et de leurs habitats est interdite (art. L. 411-1 C. env.) et passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (art. L. 415-3 C. env. dans sa version applicable au litige)2

L’article L. 411-2 du code de l’environnement permet toutefois, notamment aux porteurs de projets immobiliers et énergétiques, de requérir une « dérogation espèces protégées » qui ne pourra être délivrée qu’à trois conditions :

  • absence de solution alternative satisfaisante ;
  • raison impérative d’intérêt public majeur ;
  • maintien dans un état de conservation favorable de l’espèce. 

Dans les faits de l’espèce, 28 Faucons crécerellettes ont été tués à la suite de collision avec des éoliennes entre 2011 et 2016 (élément matériel du délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées). 

La cour d’appel de Versailles a relevé que, dès lors que les sociétés ne justifiaient pas être titulaires d’une DDEP, la faute d’imprudence (élément moral du délit v. Cass. crim, 1er juin 2010, n° 09-87159) devait être regardée comme constituée.

Le rejet de tout argument de nature à exonérer les sociétés de la faute commise

La cour d’appel de Versailles semble livrer une appréciation stricte de la faute : elle se borne à constater que la destruction de l’espèce protégée n’a pas été autorisée, et rejette tout argument qui aurait été de nature à atténuer la faute voire exonérer les sociétés intimées. 

D’une part, la cour d’appel ne reprend pas le raisonnement du TGI de Nanterre3 qui, pour écarter la faute d’imprudence du délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées, avait entendu tenir compte des intérêts publics potentiellement contradictoires consistant en la protection de l’environnement (la faune en l’espèce) et la poursuite d’un objectif d’intérêt général de développement des énergies renouvelables par la mise en place d’éoliennes. 

D’autre part, la cour d’appel estime que la circonstance que les sociétés ont respecté les prescriptions préfectorales de mise en œuvre d’un système de détection et d’effarouchement (DT-BIRD) visant à protéger les oiseaux des collisions avec les éoliennes, est sans effet sur la faute, constituée par l’absence de demande de dérogation les autorisant à détruire des spécimens de Faucons crécerellettes.

II. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE JUGE JUDICIAIRE (CIVIL ET PÉNAL) EN MATIÈRE DE PROTECTION DES ESPÈCES PROTÉGÉES

Les pouvoirs du juge judiciaire

La cour d’appel de Versailles rappelle d’abord que l’absence de constatation d’une infraction pénale par une juridiction répressive ou le prononcé d’une relaxe ne fait pas obstacle à ce qu’une association agréée puisse obtenir réparation du préjudice subi du fait de la destruction d’espèces protégées, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Ensuite, dans le cadre de cette action civile, la cour indique qu’il revient au juge judiciaire de constater l’existence de la violation de l’article L. 411-2 C. env., dès lors qu’aucune dérogation n’a été accordée. En revanche, elle précise que l’appréciation des conditions prévues par ce même article (intérêt public majeur etc.) relève de l’exercice de pouvoirs dévolus aux autorités administratives, qu’il ne lui appartient pas de contrôler.

Enfin, il peut être relevé que l’action avait ici pour seul objet l’engagement de la responsabilité des sociétés et la réparation du préjudice subi par l’association FNE. En d’autres termes, aucune incidence sur la continuité du fonctionnement des éoliennes ou sur la régularisation de la situation des sociétés intimées par la demande et l’octroi d’une DDEP n’est mentionnée par la décision.

 

Résumé des risques contentieux

La décision de la cour d’appel de Versailles ainsi que de récents arrêts du juge administratif donnent l’occasion de synthétiser les risques contentieux encourus par les porteurs de projets ENR ou immobiliers en l’absence de DDEP alors que celle-ci était requise en raison du risque de destruction des espèces ou de leurs habitats4

  • autorisation environnementale (AE) : risque de recours contre une AE (cas des projets éoliens, art. R. 425-29-2 C. urb.) ne comprenant pas de dérogation devant le juge administratif ;
  • autre autorisation qu’une AE : irrégularité de l’exécution d’un permis de construire avant la délivrance de la dérogation (art. L. 425-15 C. urb.)6 : risque d’arrêté interruptif des travaux ;
  • dans tous les cas :
    • risque de recours contre la décision de rejet de la demande tendant à ce qu’il soit exigé du porteur d’un projet de parc éolien qu’il présente une demande de DDEP7 ;
    • action civile sur le fondement de l’article 1240 du code civil en raison de la faute d’imprudence du délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées ;§action pénale pour délit d’atteinte à la conservation d’espèces protégées.

 

Précisions

L’association France Nature Environnement (FNE) est une association agréée pour la protection de l’environnement (art. L. 141-1 C. env.)

2 L’article L. 415-3 du code de l’environnement, modifié par la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019, prévoit que le fait de porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques est désormais puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000€ d’amende. En application de l’article 131-6 11° du code pénal, il semble  également possible pour le juge, comme alternative à la peine de prison, de prononcer pour une durée maximale de 5 ans, l’interdiction à une personne physique (par ex. au représentant légal d’une société) d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d’administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. 

3 TGI Nanterre, 16.05.19, n° 17/05606

CAA Bordeaux, 9.03.21, n° 19BX04970

5 Une AE est illégale du fait de l’absence d’une DDEP requise. En conséquence, le juge pourra prononcer une annulation partielle de l’AE ou sursoir à statuer laissant au porteur du projet la possibilité d’obtenir une DDEP dans un délai qu’il aura fixé (art. L. 181-18 C. env., v. par ex. délai d’un an – CAA Nantes, 6.10.20, n° 19NT02389).

En application du principe de l’indépendance des législations, la légalité d’un PC n’est pas affectée par l’absence de DDEP. Seule son exécution l’est.

CAA Bordeaux 9.03.21, n° 19BX03522

Pour une étude complète, v. Bourrel A. et Descubes L., « La DDEP en matière d’installations de production d’énergie renouvelable : entre incertitudes et tentatives de clarification », Energie, environnement, infrastructures, n° 12, décembre 2020.

Une loi pour (enfin) codifier la procédure d’abrogation des cartes communales et accompagner (encore) les conséquences de la caducité des POS

La proposition de loi « visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols » a été adoptée en 1ère lecture par le Sénat et est en cours d’examen par l’Assemblée Nationale. Il est proposé de préciser, au sein du code de l’urbanisme, les étapes des procédures d’abrogation de cartes communales (art. L. 164-1 et s. CU)1 et de mettre à la disposition des territoires non couverts par un document d’urbanisme – compte tenu de la récente caducité des POS2 – trois dispositifs spécifiques de droit de préemption urbain, de sursis à statuer et de dérogation au RNU (futurs art. L. 174-5-1 et s. CU).

I. LES FUTURES PROCÉDURES D’ABROGATION DES CARTES COMMUNALES


Si la proposition de loi est adoptée sans amendement, le code de l’urbanisme devrait désormais détailler les différentes étapes procédurales à suivre pour abroger les cartes communales, qu’il s’agisse d’une procédure d’abrogation « classique » ou liée à l’entrée en vigueur d’un PLU sur le territoire couvert initialement.

Abrogation dite « classique » d’une carte communale

Le principe du parallélisme des formes serait ici consacré. Il ressort en effet de la proposition de loi que la procédure d’abrogation d’une carte communale devrait tout d’abord être prescrite par délibération de l’organe délibérant de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de PLU, document en tenant lieu et de carte communale.

Le dossier d’abrogation de la carte communale devrait ensuite être soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement et, à son issue, une délibération d’approbation d’abrogation serait adoptée par l’organe délibérant.

L’abrogation de la carte communale serait enfin soumise à l’autorité administrative compétente de l’Etat qui dispose d’un délai de deux mois à compter de sa transmission pour l’approuver, le silence valant approbation.

Abrogation de la carte communale par la prescription puis l’approbation d’un PLU

La délibération de prescription d’un PLU pourrait prévoir explicitement que l’approbation dudit plan vaudra également abrogation de la carte communale en vigueur sur le territoire concerné, afin de mettre un terme  à un vide juridique préjudiciable à la bonne administration et à la simplification des procédures.

L’abrogation de la carte communale et le PLU feraient l’objet d’une enquête publique unique et seraient approuvés par une délibération unique de l’organe délibérant.

L’abrogation de la carte communale ne deviendrait alors exécutoire qu’une fois le PLU entré en vigueur (dans les conditions prévues aux art. L. 153-23 et L. 153-24 CU). L’approbation de l’abrogation de la carte communale par l’Etat ne serait dans ce cas pas requise.

Un PLU ne pourrait entrer en vigueur qu’à compter de l’abrogation de la carte communale applicable sur le territoire.

II. TROIS DISPOSITIFS DÉROGATOIRES DEVRAIENT BÉNÉFICIER AUX TERRITOIRES DÉPOURVUS DE DOCUMENT D’URBANISME POUR ACCOMPAGNER LES CONSÉQUENCES DE LA CADUCITÉ DES POS


Pour atténuer certaines conséquences jugées punitives de la caducité des POS2 sur les territoires concernés, il est proposé de mettre à disposition des maires ou présidents d’EPCI trois outils. Ces dispositifs s’appliqueraient jusqu’à l’entrée en vigueur d’une carte communale ou d’un PLU et au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2022. 


Droit de préemption et sursis à statuer


Le droit de préemption urbain, en vue de la poursuite des objectifs prévus à l’article L. 210-1 et au dernier alinéa de l’article L. 211-13 peut être maintenu par délibération de l’organe délibérant de la commune, par dérogation à l’article L. 211-1 du CU qui conditionne normalement l’exercice du droit de préemption urbain par le maire ou le président de l’EPCI à l’existence d’un document d’urbanisme.

En outre, un nouveau mécanisme de sursis à statuer (SAS) déroge au SAS classique en étant doté d’un champ d’application plus étendu (4). En effet la commune peut proposer au préfet de département de sursoir à statuer sur toute demande d’autorisation d’urbanisme, en motivant cette proposition au regard de l’intérêt communal et, le cas échéant, des orientations du PLUi en cours d’élaboration, quel que soit l’état d’avancement de sa procédure d’élaboration. 


La décision de refus de sursoir à statuer doit être motivée par le préfet et peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.

Dérogation au RNU au nom de l‘Etat

Pour toute demande d’autorisation d’urbanisme5, le maire d’une commune peut demander au préfet de département – dont l’avis conforme est obligatoirement recueilli au titre de l’article L. 422-5 du CU en l’absence de document d’urbanisme – de faire usage du pouvoir de dérogation au RNU prévu à l’article L. 111-2 du CU :

« Un décret en Conseil d’Etat précise les dispositions du règlement national d’urbanisme et prévoit les conditions et les procédures dans lesquelles l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire peut accorder des dérogations aux règles édictées par ce règlement ». Art. L. 111-2 CU

Cette demande de dérogation doit être motivée au regard de l’intérêt communal.

L’éventuel refus du préfet doit être motivé et peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.

Quelques précisions

  1. La procédure d’abrogation des cartes communales n’était prévue par aucun texte. Guidée par la jurisprudence, la pratique appliquait jusqu’alors le principe du parallélisme des formes (délibération de prescription, enquête publique, délibération d’abrogation) pour y procéder.
  2. Les derniers POS applicables sur le territoire national sont devenus caducs au 31 décembre 2020 en application de l’article L. 174-5 CU.
  3. Mise en œuvre d’un projet d’intérêt général (habitat, activité économique, loisirs, tourismes, équipements collectifs, relocalisation d’activités économiques etc.)
  4. En principe, lorsqu’un PLU est en cours d’élaboration, l’autorité compétente en matière d’autorisation d’urbanisme peut sursoir à statuer sur les demandes d’autorisation d’urbanisme uniquement dès lors que le débat sur les orientations du PADD a eu lieu et que la demande est susceptible de compromettre l’exécution du futur plan ou de la rendre plus onéreuse (art. L. 153-11 CU).
  5. L’application du RNU entraine notamment l’application de la règle de la constructibilité limitée et l’obligation d’obtenir un avis conforme de l’Etat sur toutes les demandes d’autorisation d’urbanisme

Abréviations


CU : code de l’urbanisme
PLU : plan local d’urbanisme
POS : plan d’occupation des sols
RNU : règlement national d’urbanisme
SAS : Sursis à statuer

Le conventionnement ANAH : un outil pouvant permettre de satisfaire aux obligations de création de logements sociaux

es PLU ou documents en tenant lieu prévoient désormais quasi-systématiquement sur certaines parties de leur territoire des servitudes de mixité sociale (art. L. 151-15 C. urb.), lesquelles conditionnent l’obtention d’autorisations d’urbanisme (PC ou DP) à la réalisation d’un pourcentage de « logements sociaux » mais sans pour autant toujours donner de définition précise de cette catégorie.
Outil trop souvent oublié dans le cadre de cette obligation, le conventionnement ANAH permet pourtant d’y satisfaire.

L’OBLIGATION DE CRÉATION DE LOGEMENTS SOCIAUX

La loi SRU

La loi dite « SRU » du 13 décembre 2000 a institué, pour les villes appartenant à certains territoires, des objectifs à atteindre concernant l’offre de logements sociaux afin de favoriser la mixité sociale et d’assurer une répartition du parc social sur l’intégralité du territoire.


Son article 55 a ainsi instauré un quota de 20% de logements sociaux, porté à 25% pour les villes se situant en zone tendue (loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013).

Un décret (décret n° 2019-1577 du 30 décembre 2019) a pour mention fixé la liste des communes exemptées de l’application de ces dispositions (codifiées à l’article L. 302-5 et s. du Code de la construction et de l’habitation et précisées par l’article R. 302-14 du même code)

Les dispositions du PLU

L’article L. 151-15 du code de l’urbanisme permet aux auteurs du PLU d’imposer, en cas de réalisation d’un programme de logement, « un pourcentage (…) affecté à des catégories de logements qu’il définit dans le respect des objectifs de mixité sociale ». 


Cette habilitation étant large, les PLU fixent plus ou moins précisément les catégories auxquelles doit être affectée cette quotité de logements. En effet, il peut être directement renvoyé aux catégories de logements conventionnés énumérées par le code de la construction et de l’habitation (LLS, PSLA, logements intermédiaires etc.) ou à la catégorie lato sensu des « logements sociaux », le cas échéant sur renvoi de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation.

Nb : lorsqu’il existe, le PLH ou le volet habitat du PLUi est censé définir assez précisément les typologies des logements aidés.

LE CONVENTIONNEMENT ANAH

Un outil éligible SRU et, le cas échéant, PLU

Les logements conventionnés avec l’ANAH peuvent être décomptés dans le cadre du calcul des quotas dits « SRU » (art. L. 831-1 du CCH sur renvoi de l’art. L. 302-5 du même code, qui renvoie lui-même aux « logements à usage locatif appartenant à d’autres bailleurs {i.e. bailleurs privés}, à condition que ceux-ci s’engagent à respecter les obligations précisées par des conventions régies par la section 3 du chapitre Ier du titre II du livre III » soit les articles L. 321-8 à L. 321-12 du CCH).


Ne sont ainsi concernés que les conventionnements applicables au secteur locatif social (convention à loyer social ou très social conclue en application des articles L. 321-8 et D. 321-23 du CCH), à l’exclusion donc des conventionnements applicables au secteur locatif intermédiaire (convention à loyer intermédiaire conclue en application des articles L. 321-4 et D. 321-23 du CCH).


Ces conventionnements pourraient satisfaire mutatis mutandis aux exigences du PLU dès lors qu’il y serait notamment fait renvoi à l’article L. 302-5 précité du CCH.

Modalités de fonctionnement

La conclusion d’un conventionnement ANAH « social » ou « très social » implique le respect de plafonds de loyer par m2 différenciés selon la zone au sein de laquelle se trouve le logement, allant de 7,20 € en zone C à 12,19 € en zone A bis pour le conventionnement social et de respectivement 5,59 € à 9,49 € pour le conventionnement très social.

De même, des plafonds de ressources sont applicables selon la composition du ménage (nombre de personnes le composant), d’une part, et l’emplacement du logement (Paris et communes limitrophes, Île de France hors Paris et communes limitrophes, et autres régions), d’autre part.

Enfin, et sauf cas d’exclusion (cf. encart), un abattement fiscal peut être appliqué au montant brut des loyers perçus dans le cadre de ce conventionnement d’un montant de 70% en zone A bis, A et B1 et 50% en zone B2. Aucun abattement n’est en revanche applicable en zone C.

Une éligibilité SRU confirmée

Réponse ministérielle Quentin n° 6133 du 18/06/2019 (JOAN p. 5584) : « (les) communes ont la possibilité de recourir (…) au conventionnement du parc privé existant via l’agence nationale de l’habitat (Anah) (…). S’agissant enfin des logements sociaux entrant dans le décompte SRU, le Gouvernement rappelle qu’il est attaché à ce que le cœur de ce décompte soit constitué de logements locatifs sociaux pérennes, offrant dans la durée, au travers du conventionnement à l’aide personnalisée au logement (APL), toutes les garanties nécessaires à l’application d’un loyer bas adapté aux capacités contributives des ménages locataires sous plafond de ressources ».

Nota Bene

L’abattement fiscal sur les loyers bruts, applicable aux logements conventionnés avec l’ANAH, est applicable en cas de réalisation d’une opération sous le bénéfice du régime de droit commun des déficits fonciers ou bénéficiant de l’avantage fiscal « Malraux », mais est exclusif des opérations réalisées sous le bénéfice du régime de faveur applicable aux monuments historiques ou bénéficiant de l’avantage fiscal « Pinel ».

Dans quels cas une opération de construction et d’aménagement modifie-t-elle substantiellement le cadre de vie et emporte-t-elle une concertation préalable ?


L’article L. 103-2 du code de l’urbanisme impose à certains projets de construction ou d’aménagement une concertation obligatoire préalablement au dépôt de la demande de permis de construire ou d’aménager. En particulier, l’alinéa 3 de cet article prévoit que les projets qui sont susceptibles de modifier substantiellement le cadre de vie des habitants doivent faire l’objet d’une concertation préalable, notamment en raison de leurs incidences sur l’environnement et/ou l’activité économique. Le respect de cette obligation de concertation préalable est primordial : à défaut, le dossier de demande d’autorisation d’urbanisme sera incomplet, emportant un risque de demande de pièces (et donc, d’allongement des délais d’instruction), de refus, voire d’annulation contentieuse. En outre et depuis 2014, le code de l’urbanisme a ouvert la possibilité de soumettre d’autres projets à la procédure de concertation préalable, de manière plus ou moins facultative, de sorte que les autorisations d’urbanisme qui doivent en justifier sont plus nombreuses.


I. L’ARTICLE L. 103-2 AL. 3 DU CODE DE L’URBANISME PRÉVOIT LES CAS DANS LESQUELS LA CONCERTATION PRÉALABLE EST OBLIGATOIRE


Cas où le recours à la procédure de concertation préalable est obligatoire


L’article L. 103-2 al. 3. du C. Urb. impose d’associer les habitants, les associations locales ou toutes autres personnes concernées à l’élaboration de certains projets d’aménagement et de construction « ayant pour effet de modifier de façon substantielle le cadre de vie ». 


Afin de préciser le champ d’application de la concertation préalable, l’article R. 103-1 du C. Urb. énumère limitativement les projets qui doivent obligatoirement y être soumis. Huit hypothèses sont limitativement identifiées, parmi lesquelles la transformation d’une voie existante en aire piétonne d’une superficie supérieure à 3000 m2 par exemple. 


Dans le cas où l’opération apparaît soumise à la procédure de concertation préalable, le demandeur d’autorisation d’urbanisme doit joindre au dossier déposé, en application de l’article R. 431-16 m) du C. Urb., le bilan de la concertation transmis par l’autorité compétente ainsi qu’un document expliquant les suites données à ce bilan.


Ce cadre restrictif apparaît donc permettre la sécurité juridique des opérations qui « entrent » ou « sortent » du champ d’application de l’article R. 103-1 du C. Urb. précité, ce qui n’empêche pas que la jurisprudence a été amenée à se prononcer sur l’appréciation de ces dispositions.

Le contrôle rigoureux du juge quant à l’obligation de recourir à la concertation

Le juge administratif contrôle in concreto la nécessité d’organiser une concertation préalable à la demande de permis et apprécie notamment l’ampleur de l’opération à l’échelle de la commune en prenant en compte les éléments suivants :


A l’appui de ces critères, le juge vérifie si le projet entre dans les hypothèses où une opération est soumise à concertation préalable obligatoire en application des articles L. 103-2 et R. 103-1 du C. Urb. 
Si le recours à la procédure de concertation préalable apparaît strictement encadré par les textes à certains types d’opérations, la loi ALUR de 2014 a ouvert la possibilité de recourir à la procédure de concertation préalable de manière spontanée et donc, facultative.

II. L’ARTICLE L. 300-2 AL. 1 ET 6 DU CODE DE L’URBANISME OUVRE LA POSSIBILITÉ DE RECOURIR SPONTANÉMENT (MAIS PAS SEULEMENT) À LA CONCERTATION PRÉALABLE

Le recours à la procédure de concertation préalable peut être facultatif…


Comme souligné dans notre bulletin du 11 avril 2016, l’article L. 300-2 al 1 du C. Urb. prévoit que les porteurs de projets peuvent, de leur propre initiative, soumettre à concertation préalable les opérations de construction ou d’aménagement qui seraient situées sur un territoire couvert par un SCoT, un PLU ou une carte communale, qui ne relèveraient pas de l’article R. 103-1 précité et qui seraient susceptibles d’avoir une incidence sur le cadre de vie


Dans cette hypothèse, les porteurs de projets et, le plus souvent, les collectivités concernées, estiment de leur propre chef, qu’une participation du public préalable au dépôt et à la délivrance de l’autorisation d’urbanisme apparaît nécessaire. 


Par ailleurs, ce choix permet aux projets devant faire l’objet d’une évaluation environnementale de n’être soumis qu’à une procédure de mise à disposition du public.


Bien qu’il ne faille pas obérer le caractère persuasif de l’administration dans le recours à de telles concertations « facultatives », ces dispositions apportent néanmoins une dimension spontanée à la procédure de concertation préalable et peuvent, dans certains cas, faciliter l’adhésion du public à un projet d’ampleur par sa participation et donc, sa compréhension des enjeux (1).

… sauf lorsque l’autorité administrative a décidé de l’imposer par voie réglementaire.

L’article L. 300-2 al 6 du C. Urb. prévoit que l’autorité compétente pour statuer sur une demande de permis de construire ou d’aménager peut définir parmi les projets de travaux ou d’aménagements mentionnés par cet article, ceux qui sont soumis à concertation préalable (2).


Pour les projets concernés (désignés par décision ou délibération), la concertation préalable au dépôt de l’autorisation d’urbanisme passe alors de facultative à obligatoire. 


Ce pouvoir est toutefois encadré. Le préfet, la commune ou l’EPCI compétent pour apprécier les travaux ou aménagements – autre que ceux faisant l’objet d’une concertation obligatoire – qui seront soumis à concertation préalable, doivent motiver leur décision par la prise en compte de leur importance, leur impact potentiel sur l’aménagement de la commune ou la sensibilité du lieu où ils seront implantés.


Il est donc nécessaire, lors de l’élaboration des projets de construction ou d’aménagement, de vérifier si une concertation préalable, hors les cas prévus à l’article L. 103-2 précité, doit néanmoins être réalisée au regard de la décision règlementaire adoptée par l’autorité compétente.


Exemples

Il a été jugé que sont soumis à concertation préalable les projets : 

  • de construction de deux immeubles qui,  eu égard à l’augmentation de la population du quartier, à la création de nouveaux locaux commerciaux sur une surface de 770 m2 qu’il va entraîner ainsi que les changements dans les conditions de circulation des piétons et des véhicules et de stationnement qu’il va occasionner au sein de la commune du Cap d’Ail (4594 hab. en 2017), modifie de manière substantielle les conditions de vie dans le quartier (CAA de Marseille, 17 juin 2004, n° 99MA01941).
  • de création, dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine, d’une place piétonne à l’emplacement d’un ancien carrefour dans la commune de Grande-Synthe (22 966 hab. en 2017) (CAA Douai, 5 avril 2012, n° 11DA00250).

A contrario, il a été jugé que ne sont pas soumis à concertation préalable :

  • la construction sur une parcelle de moins d’un hectare de 7 000 m2 de logements dans une commune moyenne dotée d’une forte densité telle que Juvisy-sur-Orge (16 667 hab. en 2017) (CE, 20 décembre 2000, n° 210219).
  • la construction sur le territoire de la commune de Saint-Ouen (51 108 hab. en 2017) d’un ensemble immobilier d’une surface de plancher de 58 028 m2, alors que la commune était dotée d’un PLU (TA Montreuil, 25 juin 2019, n° 1800461).
  • la transformation partielle d’une place, à usage de parking, en aire piétonne, alors même que sa superficie était supérieure à 3000 m2 (CAA Nantes, 28 février 2020, n° 19NT00935).

Rappels

(1) En ce cas, les porteurs de projet doivent justifier des mêmes pièces que pour une concertation préalable obligatoire lors du dépôt de la demande de permis.

(2) Cet acte présente un caractère règle-mentaire et peut donc être contesté par la voie de l’exception à l’occasion d’un recours contre la décision de l’autorité compétente imposant une concertation sur son fondement. 

Le sort du sursis à statuer opposé en cours de modification d’un document d’urbanisme enfin tranché

Le Conseil d’Etat, dans sa décision Société Denali Consulting et autres, du 28 janvier 2021 (n° 433619) tranche enfin la question du champ d’application du sursis à statuer et de la possibilité de prononcer une telle décision en cours de modification d’un plan local d’urbanisme. La jurisprudence ambivalente (bien que non fichée sur ce point) à cet égard avait semé le trouble alors qu’une interprétation littérale des textes devait conduire à exclure la possibilité pour une autorité administrative de surseoir à statuer alors qu’une simple procédure de modification était engagée. Les règles sont désormais claires : le SAS en cours d’élaboration ou de révision d’un PLU : oui (I.), le SAS en cours de modification d’un PLU : non (II.).  

I. LE SURSIS À STATUER EN COURS D’ÉLABORATION OU DE RÉVISION D’UN PLU : OUI

La possibilité ouverte de surseoir à statuer en cours d’élaboration et de révision d’un PLU

Le sursis à statuer est une mesure de sauvegarde permettant de différer la décision de l’autorité compétente sur une demande d’autorisation d’urbanisme.

Les articles L. 424-1 et L. 153-11 du code de l’urbanisme prévoient ainsi que le maire peut surseoir à statuer sur toute demande d’autorisation concernant des travaux, constructions ou installations, au cours d’une procédure d’élaboration et de révision d’un PLU à deux conditions :

  • le projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreux l’exécution du futur plan ;
  • le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) a déjà eu lieu.

Cette décision ne peut excéder une durée de deux ans. A l’issue de ce délai, le pétitionnaire peut confirmer sa demande, dans un délai de 2 mois suivant l’expiration du délai. Dans cette hypothèse, l’autorité compétente peut soit prononcer un nouveau sursis d’un an maximum, fondé nécessairement sur un autre motif que celui du sursis initial, soit délivrer l’autorisation d’urbanisme dans un délai de deux mois (art. L. 424-1 C. urb.).

La condition objective de débat sur les orientations du PADD

Avant la loi n° 2017-86 Égalité et citoyenneté du 27 janvier 2017, l’autorité compétente pouvait surseoir à statuer dès la publication de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision d’un PLU (art. L. 123-6 C. urb.).

Elle devait toutefois vérifier que l’état du projet était suffisamment avancé pour que la décision de sursis puisse être opposée. Ce critère soumis à interprétation a donné lieu à une jurisprudence fournie

Par exemple, le Conseil d’Etat a pu considérer qu’un PADD et un projet de règlement rendus publics et comportant des cartes détaillées du zonage pouvaient permettre de regarder le projet de PLU comme suffisamment avancé (CE, 30 mai 2011, n° 327769).

En fixant une limite temporelle et objective (débat sur les orientations générales du PADD), la loi n° 2017-86 a tenté d’éteindre les incertitudes pesant sur la légalité d’une décision de sursis à statuer.

Le seul débat sur les orientations du PADD, parfois prématuré, ne suffit toutefois pas à établir un projet assez consistant pour permettre de fonder un sursis à statuer (voir par ex CAA Marseille, 18 décembre 2020, n° 18MA05002).

II. LE SURSIS À STATUER EN COURS DE MODIFICATION D’UN PLU : NON

Un sort jusqu‘alors incertain pour le sursis à statuer en cas de modification d‘un PLU

La loi du 27 janvier 2017 n’avait pas éteint toutes les interrogations. 

La lecture littérale de la loi permettait de supposer que devait être de facto exclue la possibilité de surseoir à statuer lorsqu’une procédure de modification du PLU était en cours. En effet, aucun débat sur les orientations du PADD ne saurait avoir lieu dans le cadre d’une « simple » modification d’un PLU (art. L. 153-36 et suiv. C. urb.). Il en va d’ailleurs de même s’agissant de l’ancien article L. 123-6 dès lors que la modification d’un PLU n’est pas prescrite par délibération.

Toutefois, une décision Danglot de décembre 2017 avait semé le doute.

Bien que la décision n’était pas fichée sur ce point, le Conseil d’Etat avait alors considéré comme légal un sursis à statuer prononcé en cours de modification d’un PLU, eu égard à son degré d’avancement, la modification devant être approuvée dans les semaines suivant la décision de sursis à statuer (CE, 18 décembre 2017, n° 380438).

L’exclusion par le CE de la modification d’un PLU du champ d’application du sursis à statuer

Le Conseil d’Etat a mis fin à cette incertitude dans une décision mentionnée aux tables du recueil Lebon, dans laquelle il a « rectifié le tir », pour reprendre les termes du rapporteur public, par rapport à la décision Danglot précitée. 

Le Conseil d’Etat distingue ainsi la procédure de modification de la procédure d’élaboration (à laquelle peut en revanche être rattachée la procédure de révision) et exclut la première du champ d’application du sursis à statuer : 

« l’existence d’une simple procédure de modification d’un document d’urbanisme en cours n’autorisait pas le maire à faire usage de la procédure de sursis à statuer ».

Cette décision a été prise dans une affaire où l’ancien article L. 123-6 du code de l’urbanisme était applicable. Il n’est toutefois pas à douter qu’une telle solution devrait être étendue au nouvel article L. 153-11 du code de l’urbanisme, dont la lecture littérale permet tout autant d’exclure la possibilité de surseoir à statuer en cours de modification d’un PLU.

Quelques précisions

Les conclusions du rapporteur public

Selon le rapporteur public dans ses conclusions sous la décision commentée, la solution simplificatrice tendant à harmoniser le régime du sursis à statuer en cours de modification, de révision et d’élaboration d’un PLU, se serait heurtée à l’intention du législateur, à la logique des textes et à la compréhension qu’en a la doctrine :

  • l’instauration d’un sursis à statuer par le législateur est justifiée par la nécessité de préserver le contenu des documents en cours d’évolution, notamment en raison de la lourdeur et la longueur des procédures, ce qui ne saurait être le cas s’agissant des modifications de PLU ;
  • une lecture littérale des textes (L. 123-6 et L. 153-11 C. urb.) permet d’exclure la procédure de modification des hypothèses de sursis à statuer ;
  • la doctrine administrative (Rép. Min. n° 3696, JO Sénat 19 avril 2018, p. 1920), praticienne et universitaire a analysé les textes dans le sens d’une exclusion de la modification.

Abréviations

C. urb. : code de l’urbanisme

Réduction d’impôt Pinel : Reconduction mais abaissement progressif des taux en 2023 et 2024

L’article 168 de la loi de finances pour 2021 du 29 décembre 2020 (n° 2020-1721) a reconduit le dispositif Pinel jusqu’en 2024. 

Les taux de la réduction d’impôt sont cependant abaissés progressivement en 2023 et 2024 en vue d’un éventuel remplacement du dispositif. 

Par exception, certains logements continueront de bénéficier des taux actuels de la réduction d’impôt. 

DIMINUTION PROGRESSIVE DES TAUX DE LA RÉDUCTION D’IMPÔT PINEL EN 2023 ET 2024


La réduction d’impôt « Pinel » est prorogée pour les acquisitions réalisées jusqu’au 31 décembre 2024, mais les taux applicables, fixés en fonction de la durée de l’engagement de location du contribuable, sont abaissés à partir de 2023 et 2024 en fonction de la date d’acquisition* :

Exemple : Pour un immeuble acquis en 2022 avec un engagement de location de 9 ans, le taux applicable sera de 18%, soit 2% par an, pour se terminer en 2031. 

Pour un immeuble acquis en 2023, le taux sera de  15%, soit environ 1,7% par an pour se terminer en 2032.


 
* Par exception, pour les logements que le contribuable fait construire, c’est la date de dépôt du permis de construire qui détermine le taux applicable. 

LES TAUX ACTUELS MAINTENUS POUR LES OPÉRATIONS LES PLUS « VERTUEUSES »


Les taux de réduction d’impôt seront maintenus à leur niveau actuel, même pour les opérations réalisées en 2023 et 2024, qui portent sur :

  • des logements situés dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (liste consultable ici : sig.ville.gouv.fr/atlas/QP) ; ou
  • des logements qui respectent un niveau de qualité de performance énergétique et environnementale, supérieure à la réglementation actuelle.

MAISONS INDIVIDUELLES ET BÂTIMENTS D’HABITATION COLLECTIFS

Pour rappel l’article 161 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 a supprimé la possibilité de bénéficier du dispositif Pinel pour les maisons individuelles acquises neuves ou par le biais d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement. L’article 169 de la loi de finances pour 2021 précise que cette disposition est également applicable aux maisons individuelles que le contribuable fait construire. 

Néanmoins il est toujours possible de bénéficier du Pinel concernant une maison individuelle mais uniquement en cas de réhabilitation, transformation ou de la réalisation de travaux conduisant à la production d’un immeuble neuf. 

A noter

Le gouvernement souhaite remplacer le dispositif Pinel par un dispositif plus efficient. Dans cette optique, il doit remettre au Parlement, avant le 30 mars 2021, un rapport proposant des nouveaux dispositifs de soutien au développement de l’offre de logements locatifs intermédiaires en favorisant une implication accrue des investisseurs institutionnels.  

Dispositif Denormandie inchangé

Les investissements relevant du dispositif « Denormandie » (acquisitions de logements faisant l’objet de travaux d’amélioration ou de transformation situés dans des communes ayant un besoin marqué de réhabilitation de l’habitat en centre-ville ou ayant conclu une convention d’opération de revitalisation du territoire) sont expressément exclus du champ d’application des présentes mesures.

Expropriation – Impossibilité de renoncer au droit de rétrocession (non acquis)

Dans une décision n° 20-19.351 du 19 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a précisé les modalités de mise en œuvre du droit de rétrocession. Elle a ainsi jugé que l’expropriant ne peut pas, en amont, demander au propriétaire exproprié de renoncer à son droit de rétrocession dans l’hypothèse où l’opération d’expropriation ne serait pas réalisée.
Cette jurisprudence condamne donc avec fermeté la pratique tendant à faire signer à l’exproprié une clause de renonciation à son droit de rétrocession concomitamment au versement des indemnités d’expropriation par acte notarié.

La Cour a donc réaffirmé la protection du droit de rétrocession des expropriés (I.) tout en précisant les modalités dans lesquelles il reste possible d’y renoncer (II.)

I. LA PROTECTION DU DROIT DE RÉTROCESSION 

La définition du droit de rétrocession

L’article L. 421-1 du code de l’expropriation dispose que :

« Si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique. »

Cet article permet aux propriétaires expropriés, dans les cas où l’opération d’expropriation ne serait finalement pas réalisée, et ce même après leur indemnisation et leur départ, de se voir rétrocéder leur bien.

La nullité des clauses de renonciation par anticipation

Par un arrêt du 19 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation juge que « l’exproprié peut renoncer au droit de rétrocession, qui relève de l’ordre public de protection, une fois celui-ci acquis ».

Ainsi le droit de rétrocession relève de l’ordre public et, conformément à la jurisprudence constante en la matière (1), « nul ne peut valablement renoncer à un droit d’ordre public avant qu’il ne soit acquis ».

Dès lors, toute clause qui aurait pour effet de faire renoncer l’exproprié à son droit de rétrocession, alors que celui-ci n’est pas encore né, sera considérée comme nulle.

II. QUAND PEUT-ON RENONCER À SON DROIT DE RÉTROCESSION ? 

Après un délai 5 ans (destination non conforme à la DUP)

La Cour énonce que le droit de rétrocession est acquis « 5 ans après l’ordonnance d’expropriation si les biens n’ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d’utilité publique ou ont cessé de recevoir cette destination ».

Il s’agit du cas où l’exproprié constate, à l’issue de ce délai, que le projet envisagé par la DUP n’a pas été mis en œuvre par l’expropriant, ou bien qu’il a été réalisé dans ce délai mais que la destination des biens expropriés a, depuis, été modifiée et ne correspond plus au projet prévu par la DUP.

L’expropriant ne dispose que de 5 ans pour réaliser un projet conforme à celui déclaré d’utilité publique. Une fois ce délai expiré, l’exproprié peut demander la rétrocession de son bien s’il s’avère que le projet est, en l’état, non conforme à la déclaration d’utilité publique.

La Cour estime alors que son droit de rétrocession est né et qu’il peut ainsi valablement y renoncer à compter de cette date.

Avant l’expiration du délai de 5 ans (incompatibilité avec le projet prévu par la DUP)

La Cour rappelle qu’il existe une seconde hypothèse ouvrant le droit de rétrocession : « avant même l’expiration du délai de 5 ans, si le projet réalisé est incompatible avec celui déclaré d’utilité publique ».

Le droit de rétrocession est acquis avant l’expiration du délai de 5 ans prévu par la loi dans le cas où le projet serait réalisé dans ce délai mais serait incompatible avec celui ayant justifié la déclaration d’utilité publique. L’exproprié pourrait, alors, dans cette hypothèse être susceptible de faire valoir son droit à rétrocession. Il sera donc également en mesure d’y renoncer. La Cour avait déjà admis cette possibilité et n’effectue ici qu’un rappel. (4)

Si la personne publique décide de mettre en vente le bien exproprié, elle doit informer en priorité l’exproprié de sa décision de vendre, et l’inviter à opter entre l’exercice immédiat du droit de rétrocession ou la renonciation à ce droit.L’exproprié a 2 mois pour faire connaître son acceptation et proposer un prix de vente. S’il n’y a pas d’accord sur le prix de vente, la personne publique doit saisir le juge de l’expropriation.

Quelques précisions

(1) Voir notamment : Civ 2e, 25 mars 1991, n°89-21 ; 3e Civ., 27 octobre 1975, n° 74-11.656  

(2)  Civ. 3e, 26 mars 2014, n° 13-13.670

(3)  Civ. 3e, 18 avril 2019, n° 18-11.414

(4) Civ. 3e, 19 février 1992, n° 90-12.652

Point de vigilance 

Droit de rétrocession et droit au délaissement

Il est constant que l’exercice du droit de délaissement, constituant une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire du bien, ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession de ce bien sur le fondement de l’article L. 421-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, même lorsque le juge de l’expropriation a donné acte aux parties de leur accord sur la fixation du prix et ordonné le transfert de propriété au profit de la collectivité publique. (2)

Par ailleurs, un propriétaire qui a fait usage du droit de délaissement ne pourra bénéficier ensuite de son droit à rétrocession. Il pourra seulement obtenir une indemnisation en cas d’atteinte au droit au respect des biens, notamment lorsque la commune vend ledit bien à un prix nettement supérieur au prix d’achat. (3)

Abréviations

Civ. Chambre civile de la Cour de cassation

DUP Déclaration d’utilité publique