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Dans une décision en date du 25 avril 2022 1, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur l’application d’un délai raisonnable indicatif d’un an à l’introduction d’un recours en contestation de la validité du contrat administratif (recours dit « Tarn-et-Garonne ») en l’absence de mesure de publicité appropriée mise en œuvre par la personne publique contractante. Ce faisant, le juge administratif franchit un pas de plus vers la sécurité juridique des contrats administratifs, au détriment de la possibilité pour les tiers de les contester dans le temps. Si cette solution venait à être confirmée par la plus haute juridiction administrative, il pourrait en être terminé de la possibilité de contester indéfiniment la validité d’un contrat administratif dont les modalités de publicité ont été irrégulièrement mises en œuvre. La décision récente de la cour administrative d’appel de Marseille constitue donc un signal fort, en ce qu’elle tend vers l’extension de la notion de délai raisonnable au contentieux de la validité des contrats administratifs (I.), tout en maintenant la possibilité pour le concurrent évincé de demander sans autre délai que celui de la prescription quadriennale de droit commun la réparation de son préjudice né de la signature du contrat (II.).

I. UN DÉLAI RAISONNABLE D’UN AN APPLIQUÉ AU RECOURS EN CONTESTATION DE LA VALIDITÉ DU CONTRAT

Un « délai raisonnable » qui s’étend…

En 2016, l’arrêt Czabaj (CE, 13 juillet 2016,
n° 387763) opérait une véritable révolution, en considérant qu’une décision administrative individuelle non ou mal notifiée ne pouvait être attaquée indéfiniment, puisqu’au contraire un délai de recours raisonnable indicatif d’un an devait être appliqué. Cette solution, visant à protéger, en vertu du principe de sécurité juridique, des situations consolidées dans le temps, a été progressivement étendue à d’autres domaines, telles que les décisions implicites de rejet (CE, 18 mars 2019, n°417270) les titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, n°401386) ou encore les permis de construire (CE, 9 novembre 2018, n° 409872). Mais, jusqu’ici, il n’en est rien pour le contentieux des contrats administratifs. Si le code de justice administrative prévoit que, en l’absence de publication de l’avis d’attribution, le délai d’introduction d’un référé contractuel est de six mois à compter de la signature du contrat– au lieu d’un mois à compter de sa publication – (article R. 551-7 CJA), aucune disposition similaire n’existe concernant le recours en contestation de la validité du contrat, d’origine jurisprudentielle.

… jusqu’au recours « Tarn-et-Garonne »

Des décisions isolées de tribunaux administratifs avaient déjà appliqué un délai raisonnable d’un an à l’introduction d’un recours « Tarn-et-Garonne » en l’absence de mesure de publicité appropriée. (TA La Réunion, 19 octobre 2016, n°1601022 ; TA Lille, 15 octobre 2019, n° 1706673). L’application de cette solution restait cependant fort incertaine. La décision commentée du 25 avril 2022 vient lui donner une force nouvelle, puisqu’elle marque sa première application explicite par une CAA. En l’espèce, un concurrent évincé demandait l’annulation d’un marché public, dont la publicité était considérée irrégulière en ce qu’elle n’indiquait pas les modalités de consultation du contrat. La CAA de Marseille, après avoir logiquement écarté le délai de deux mois (voir    ) du fait de l’irrégularité de la publicité, a appliqué, dans un considérant remarqué, un délai raisonnable ne pouvant, en règle générale, excéder un an (point 5) aux conclusions contestant la validité du contrat. En l’espèce, le requérant ayant introduit sa requête plus d’un an après la publication de l’avis d’attribution lacunaire, les conclusions en contestation de la validité du marché public ont été rejetées comme tardives.

II. UN DÉLAI RAISONNABLE QUI NE S’APPLIQUE PAS À LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE DU CONCURRENT ÉVINCÉ

L’absence de délai raisonnable pour la mise en jeu de la responsabilité de l’administration…

L’arrêt commenté est également intéressant en ce qu’il étend au champ du contentieux contractuel le cas dans lequel il était déjà prévu, pour les décisions individuelles, que le délai raisonnable ne saurait s’appliquer. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle un autre délai de prescription est prévu par la loi. A ce titre, il avait déjà été jugé que le délai raisonnable d’un an ne pouvait s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité de l’administration (CE, 17 juin 2019, n° 413097). Et pour cause, la prise en compte de la sécurité juridique est assurée, pour ce type de recours, par l’existence d’un délai de prescription de quatre ans prévu par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur les personnes publiques. Dans notre affaire, la société requérante ayant, en parallèle de son recours en contestation de la validité du marché public, mis en jeu la responsabilité de la personne publique contractante afin de voir indemnisé son préjudice, la décision commentée a utilement rappelé que « La règle mentionnée précédemment au point 53 ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique (…) » (point 8).

…et pour l’introduction de conclusions à fins indemnitaires

Dans un avis du 11 mai 20114 , le Conseil d’État avait considéré que la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé, que celles-ci soient accessoires ou qu’elles fassent l’objet d’un recours distinct, n’était pas soumis au délai de deux mois. En effet, le concurrent évincé est libre de formuler, dans le délai de prescription quadriennale de droit commun, une demande chiffrée et motivée à la personne publique, et, le cas échéant, d’attaquer la décision de refus de celle-ci. Dans la décision commentée, la CAA de Marseille a rappelé cette règle (point n°7) et n’a donc appliqué ni le délai de deux mois, ni celui dit « raisonnable » d’un an aux conclusions indemnitaires de la requérante. Lesdites conclusions ont été considérées comme recevables, et la cour a pu octroyer une indemnisation au concurrent évincé, après avoir constaté qu’il présentait des chances sérieuses de remporter le marché. Ainsi, si l’extension du délai raisonnable d’un an au recours Tarn-et-Garonne protège le contrat lui-même, il ne vient nullement restreindre dans le temps la possibilité pour les tiers de mettre en jeu la responsabilité de la personne publique et de formuler une demande indemnitaire à son encontre, dans le respect du cadre procédural prévu.

Qu’est-ce que le recours  « Tarn-et-Garonne » ?

Le recours dit « Tarn-et-Garonne », du nom de la jurisprudence l’ayant consacré (CE, 04/042014, Département Tarn-et-Garonne, n° 358994), permet à tout tiers justifiant d’un intérêt lésé de contester la validité d’un contrat administratif. Il s’agit d’un recours de plein contentieux devant, en principe, être introduit dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées. Les sanctions prononcées par le juge peuvent aller jusqu’à l’annulation totale du contrat.

Point de vigilance : la décision commentée fait courir le délai raisonnable d’un an à compter de la publication de l’avis d’attribution lacunaire. Ainsi, l’on peut s’interroger sur l’application d’un tel délai en l’absence totale d’avis d’attribution. Et pour cause, sous l’empire de la jurisprudence Tropic, il avait déjà été jugé que l’absence d’avis d’attribution engendrait l’absence de départ des délais de recours 2.

Quelques précisions :

1 - CAA Marseille, 25 avril 2022, n°19MA05387

(décision commentée)

2 - CAA Lyon 5 mai 2011, Société SMTP, n°10LY00134

3 - l’application du délai raisonnable d’un an, comme vu précédemment

4 - CE, avis, 11 mai 2011, n° 347002

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