Déductibilité du prix des travaux prévus dans un contrat de VIR : le Conseil d’État clarifie le principe
D'abord admise par la Cour Administrative d’Appel de Nantes (CAA Nantes, 29/06/2017 n° 16NT00954) avant d'être refusée par celle de Bordeaux (CAA Bordeaux, 04/11/2021 n° 19BX03720), cette question de la déductibilité du prix des travaux prévus dans les contrats de vente d'immeuble à rénover (« VIR ») ne sera demeurée que peu de temps incertaine puisque le Conseil d'État vient de se prononcer en faveur d'une réponse négative (CE, 17/10/2022 n° 460113).
LA DIVERGENCE DES JUGES DU FOND
L’arrêt de la CAA de Nantes n’ayant pas réfuté la déductibilité de ces dépenses
Dans cette affaire, l’administration fiscale soutenait que le prix des travaux prévus au contrat de VIR ne présentait pas le caractère d’une dépense déductible dès lors que, en application des règles légales gouvernant ces contrats, le vendeur conserve, postérieure-ment à la vente et jusqu’à la livraison des travaux, la maîtrise d’ouvrage de ces derniers, d’une part, et que son engagement de réaliser lesdits travaux pour l’acquéreur, moyennant un prix convenu, intervient de manière concomitante à la vente, d’autre part. La Cour de Nantes a toutefois écarté cet argumentaire en jugeant que « l'administration n'est pas fondée à soutenir que, par principe, le coût des travaux réalisés dans le cadre d'un contrat de vente d'un immeuble à rénover n'est pas déductible des revenus fonciers (…) ».
Certains ont ainsi pu voir dans cette décision l’admission, a contrario, d’une déductibilité de principe de ces dépenses.
L’arrêt de la CAA de Bordeaux ayant réfuté la déductibilité de ces dépenses
Saisie d'une instance similaire relative à un acquéreur en VIR sollicitant que soit admise en déduction de ses revenus fonciers la fraction du prix afférente aux travaux, ce que contestait l'administration fiscale au terme d’un argumentaire similaire, la Cour de Bordeaux a pour sa part jugé que « les travaux réalisés antérieurement au transfert de propriété, qui s'analysent en un élément du prix d'acquisition de l'immeuble, constitutif de dépenses en capital, ne peuvent être considérés comme des charges déductibles des revenus fonciers ».
Contrairement à la Cour de Nantes, la Cour de Bordeaux a donc réfuté explicitement le caractère déductible du prix des travaux prévus dans un contrat de VIR.
LA CLARIFICATION DU CONSEIL D’ETAT
Le caractère perfectible de la motivation de la Cour de Bordeaux
A la lecture de ces décisions, la motivation de la Cour de Bordeaux selon laquelle « l'acquéreur n'acquiert un droit de propriété sur les ouvrages qu'à compter de l'achèvement des travaux y afférents » semble entrer frontalement en contradiction avec celle de la Cour de Nantes pour qui « les travaux n'ont pas été réalisés avant le transfert de propriété de l'ensemble immobilier sur lequel ils ont porté ». À y regarder toutefois de plus près, il ne s'agit pas d'une véritable contradiction mais de deux motifs distincts et pourtant tout aussi juridiquement justes puisque celui de la Cour de Bordeaux concerne la question de la propriété des ouvrages à réaliser tandis que celui de la Cour de Nantes est relatif à celle de la propriété de l'existant (résultant tous deux des dispositions de l’art. L262-1, al.2 du CCH).
Est-ce à conclure que la solution doit dépendre du motif retenu sans considération de l'autre au risque d'aboutir à des résultats diamétralement opposés ? La réponse ne peut à l'évidence qu'être négative, et l'issue ne peut donc que reposer sur d'autres considérations.
Un ajustement de motifs permettant au CE de confirmer cette non-déductibilité
Saisi de l'affaire, le Conseil d'État a, contrairement aux cours de Nantes et de Bordeaux, statué au visa des dispositions de l'article L. 262-2 du même code aux termes desquelles « le vendeur d'un immeuble à rénover demeure maître d'ouvrage jusqu'à la réception des travaux » ainsi que des articles L. 262-4 et R. 262-9, relatifs au prix – unique – du contrat.
Fort de ces motifs, le Conseil d'État a jugé « qu'il résulte de ces dispositions que, dans le cadre d'un contrat de vente d'immeuble à rénover (…), le prix des travaux devant être réalisés par le vendeur est un élément du prix d'acquisition de l'immeuble. Dès lors, le coût de ces travaux (…) ne peut (…) être déduit, (…) des revenus fonciers provenant de la location du bien ainsi acquis » ; partant, la Cour de Bordeaux n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en considérant que ces travaux « menés dans le cadre d'un contrat de vente d'un immeuble à rénover […] dont le prix d'acquisition, comprenant celui des travaux, constituait une dépense en capital qui ne pouvait être considérée comme une charge déductible des revenus fonciers des acquéreurs ».
A retenir
Dans le cadre d'un contrat de VIR, le prix des travaux devant être réalisés par le vendeur est un élément du prix d'acquisition de l'immeuble et non une charge de la propriété pouvant être déduite des revenus fonciers provenant de la location du bien acquis. Il s’agit de la première prise de position du Conseil d’Etat sur cette question qui semble retenir pour critère prééminent celui de la maîtrise d’ouvrage des travaux (c'est-à-dire la qualité de commanditaire des travaux) sur celui de la propriété (dans son acception purement civiliste).
Nota Bene
En matière de VIR, il est primordial de ne pas confondre les modalités de paiement du prix avec le prix lui-même : l'article L. 262-4 du CCH renvoie en effet à un prix unique et global (faisant ensuite l'objet d'une répartition visant à imposer un rythme de paiement protecteur des intérêts de l'acheteur) et non deux prix distincts (un afférent à l'existant, et un autre, distinct, relatif aux travaux), le contrat de VIR étant lui-même intrinsèquement constitutif d'une opération unique consistant en une cession d'immeuble sur plans.
Pour davantage de précisions
Tout comme nous avions commenté en son temps l’arrêt de la Cour de Nantes dans la Revue de Droit Fiscal (Dr. fisc. 2019, n° 23, étude 286 ; d’ailleurs citée sous les conclusions de Mme la rapporteure publique de l’affaire commentée), nous proposons une analyse, plus détaillée, de cette solution rendue par le Conseil d’Etat dans ces mêmes colonnes (Dr. fisc. 2022, n° 45, comm. 385).