« Donner et retenir ne vaut » : mais reprendre est-ce vraiment voler ?
Peut-on disposer librement du prix de vente d’un bien dont on a préalablement procédé à la donation de la nue-propriété afin de préparer et optimiser sa succession ?
Le Conseil d’Etat vient de répondre par l’affirmative en jugeant qu’un tel schéma de donation-cession avec réserve de quasi-usufruit ne constituait pas un abus de droit (10 février 2017, n° 387960).
Explication de cette redoutable technique de transmission de patrimoine.
UN MONTAGE CONTESTE PAR L'ADMINISTRATION FISCALE
La contestation des donations avec réserve de quasi-usufruit
Si la cession conjointe de la nue-propriété et de l’usufruit d’un bien met, par principe, fin au démembrement et donne lieu à répartition du prix de vente entre nus-propriétaires et usufruitiers, les parties peuvent cependant y déroger et choisir de reporter leurs droits respectifs :
- Soit dans l’acquisition d’autres biens qui se verront donc eux-mêmes démembrés ;
- Soit sur le prix de vente lui-même sous forme d’un quasi-usufruit.
Cette seconde hypothèse pouvant aboutir à ce que l’usufruitier récupère la jouissance de la totalité de ce prix de vente, l’administration fiscale en contestait la mise en œuvre lorsque le démembrement initial résultait de la donation de la nue-propriété.
Les raisons de cette contestation
La qualité de quasi-usufruitier offre à son titulaire une grande liberté en ce qu’elle lui permet de se comporter comme un plein propriétaire et de disposer du prix de vente sans aucun accord des nus-propriétaires, permettant donc de donner tout en continuant de disposer.
Dans l’arrêt du 10 février 2017, c’est justement parce-que cette grande liberté ne se voyait assortie d’aucune garantie offerte en contrepartie que l’administration fiscale a considéré que « ce mécanisme de quasi-usufruit sans caution » traduisait une absence de dépouillement immédiat et irrévocable de l’usufruitier-donateur et, par suite, la fictivité de la donation intervenue, remettant en cause le schéma de donation-cession avec réserve de quasi-usufruit mis en oeuvre.
UN MONTAGE VALIDE PAR LE CONSEIL D'ETAT
Une validation claire
Si l’on savait qu’une convention de quasi-usufruit conclue postérieurement à la mise en œuvre d’un schéma de donation-cession constituait un abus de droit (CE, 14 octobre 2015), la question de la validité d’une telle convention conclue dès la donation ou, à tout le moins, avant la cession, restait entière en jurisprudence.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat vient de juger qu’une telle clause, même non assortie de garantie, pouvait être valablement contenue dès l’acte de donation initial, étant précisé que l’absence de garantie ne démontre ni une réappropriation des biens donnés ni une absence d’intention libérale dès lors que, en application du droit civil, le quasi-usufruitier reste, en toute hypothèse, redevable d’une créance de restitution d’égal montant à l’égard de ses donataires.
Une validation cependant encadrée
En l’absence de garanties prévues dans la convention, c’est la substance même de la donation qui peut être remise en cause puisque le nu-propriétaire n’est titulaire que d’une simple créance de restitution à l’encontre du quasi-usufruitier.
Afin non seulement d’éviter toute contestation de l’intention libérale par l’administration fiscale, mais surtout pour sécuriser la situation du nu-propriétaire , il nous semble nécessaire de prévoir, à la charge du quasi-usufruitier, une obligation d’information au profit du nu-propriétaire, laquelle lui permettrait d’exercer un contrôle sur sa créance de restitution et, dans l’hypothèse où cette dernière se trouverait compromise, d’engager une action en abus de jouissance afin de préserver ses droits et donc la consistance de la donation.
L’intérêt de la donation-cession : purger l’impôt sur la plus-value
Procéder à la donation d’un bien préalablement à sa cession par les donataires permet 1/ de purger les plus-values latentes en soumettant cette première opération aux droits de mutation à titre gratuit et 2/ de ne constater aucun impôt sur la plus-value lors de la seconde.
Notons que, au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire deviendra automatiquement plein propriétaire sans fiscalité.
Cette technique, admise par le Conseil d’Etat (CE, 30/12/2011 n° 330940), permet donc de transmettre son patrimoine à moindre coût fiscal.
La donation-cession optimisée
Ce schéma peut être affiné en ne procédant à la donation que de la nue-propriété du bien afin 1/ de réduire l’assiette des droits de mutation à titre gratuit et 2/ de mettre en place la réserve de quasi-usufruit étudiée ; toutefois, la plus-value ne sera ici que partiellement purgée à hauteur du droit transmis. Le Conseil d’Etat vient néanmoins d’admettre qu’un propriétaire démembré puisse tenir compte des frais et droits acquittés par l’autre propriétaire pour le calcul de cette plus-value résiduelle, permettant de la minorer (CE, 11/05/2017, n° 402479).