Rapport Rebsamen II : de nouvelles propositions pour un contentieux encadré et accéléré de l’urbanisme
Depuis 1994, le législateur se saisit des spécificités et préoccupations inhérentes au contentieux de l’urbanisme (enjeux financiers, nécessité de produire des logements, contentieux triangulaires etc.) afin d’accélérer le traitement des dossiers et lutter contre les recours malveillants. Le 28 octobre dernier, la commission présidée par M. François Rebsamen a rendu des propositions sur le thème de « la relance durable de la construction de logements ».
Parmi les 24 propositions, certaines portent sur le contentieux des permis de construire, et d’autres, d’un caractère nouveau, sont relatives au contentieux du refus de permis de construire, ce dernier pouvant être également le théatre de comportements que l’on pourrait qualifier « d’abusifs ». Dans l’attente de leur concrétisation, voici le décryptage des mesures proposées.
I. L’APPROFONDISSEMENT DU DISPOSITIF D’ENCADREMENT DES RECOURS CONTENTIEUX DES TIERS
Accélérer
L’allongement des procédures juridictionnelles est l’un des principaux freins à la construction de logements et justifie, selon le rapport, l’approfondissement de mécanismes existants.
La cristallisation des moyens prévue à l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme est d’ores et déjà automatiquement acquise à compter d’un délai de deux mois suivant la communication aux parties du premier mémoire en défense.
D’après les membres de la commission Rebsamen, dès lors que le juge conserve la possibilité de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie, la date à laquelle le délai de deux mois commence à courir pourrait être avancée.
Il est ainsi proposé de :
(1) fixer le point de départ du délai de cristallisation automatique1 à compter du dépôt de la requête initiale du pétitionnaire ;
(2) réduire le délai maximal de jugement de 10 mois prévu lorsque font l’objet de recours les permis autorisant la construction de logements collectifs ;
(3) pérenniser ou a minima prolonger le dispositif de la suppression de l’appel en zones tendues2, expérimentée pour l’heure jusqu’au 31.12.2022.
Lutter contre les recours non sérieux
Deux mécanismes – non sans lien avec les précédents – permettraient, selon les auteurs du rapport, de mieux encadrer les procédures contentieuses.
Les auteurs partent du postulat selon lequel certains recours sont « clairement irrecevables et devraient donc pouvoir être jugés rapidement ».
Aussi, ils proposent de permettre au défendeur de présenter dans un délai d’un mois suivant la communication de la requête un mémoire en irrecevabilité. Le juge serait alors tenu de se prononcer sur ladite irrecevabilité sous un délai de deux mois.
Les membres de la commission se sont ensuite penchés sur la sanction des recours dits abusifs au sens du code de justice administrative.
Pour rappel, le requérant peut à la fois être condamné à verser des dommages et intérêts au pétitionnaire (art. L. 600-7 C. urb.3), et à verser une amende au trésor public (art. R. 741-12 CJA).
Il est proposé de relever le montant maximal de l’amende pour recours abusif, à ce jour fixé à 10 000 euros.
Nota bene : compte tenu de la rareté des condamnations au paiement d’une amende pour recours abusif, il semble que cette proposition emporte des effets limités.
II. VERS LA PRISE EN COMPTE DES REFUS/RETRAITS « ABUSIFS » DE PERMIS DE CONSTRUIRE ?
La problématique des refus abusifs
Le législateur s’était jusqu’alors limité à l’adaptation du contentieux des permis de construire et n’avait fait que peu de cas du contentieux du retrait, et surtout du refus.
Seule l’appréciation constructive des articles L. 600-2 et L. 424-3 C. urb. par laquelle le Conseil d’État dans son avis Préfet des Yvelines4 a permis au juge d’enjoindre à délivrer un permis de construire à la suite de l’annulation d’un refus, et marquait enfin la prise en compte des spécificités du refus de permis de construire.
En effet, il ressort de la pratique, d’une part, que compte tenu des enjeux en matière de production de logements, le contentieux du refus nécessite tout autant de célérité et, d’autre part, que l’abus peut trouver un terrain fertile dans les rapports noués entre les autorités compétentes et les porteurs de projet.
En cela, le régime contentieux du refus reste perfectible et les mesures proposées dans le rapport Rebsamen apparaissent à cet égard opportunes.
Mesures proposées
La commission propose différentes mesures s’agissant du contentieux du refus et du retrait.
(1) D’abord, est suggéré de mettre en place une commission locale de médiation présidée par le préfet lorsque les maîtres d’ouvrages sont en conflit avec les communes au sujet de la délivrance de permis.
(2) Ensuite, certaines mesures auraient vocation à être étendues : selon le rapport, le délai de jugement (10 mois à ce jour) devrait être applicable aux contentieux des refus et des retraits d’autorisations d’urbanisme. De même, il est proposé que les tribunaux statuent en premier et dernier ressort (suppression du degré d’appel) sur des contentieux de refus et de retrait, en zones tendues.
(3) Les auteurs du rapport Rebsamen s’intéressent enfin à la procédure de référé-suspension : est proposé d’étendre la présomption d’urgence (art. L. 600-3 C. urb.) au contentieux du retrait de permis de construire (et non au refus, ce qui apparaît regrettable).
Quelques précisions
1 Rappel sur la cristallisation des moyens : passé un délai déterminé par le juge ou, comme en urbanisme, automatiquement fixé, les parties ne peuvent plus invoquer de nouveaux moyens (art. R. 600-5 C. urb.). Il importe en droit de l’urbanisme de défendre dans les plus brefs délais afin de permettre de déclencher le délai de deux mois au-delà duquel aucun moyen nouveau ne pourra être soulevé.
2 Les zones dites tendues correspondent aux communes citées à l’article 232 du CGI, c’est-à-dire celles soumises à une taxe sur les logements vacants.
3 L’article L. 600-7 permet au pétitionnaire de déposer des conclusions reconventionnelles par lesquelles il requiert des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du recours introduit. Pour ce faire, il faut que le recours soit mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant.
4 Conseil d’Etat, avis, 25 mai 2018,n° 417350, Rec. Leb.
Quid de l’application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme aux contentieux du retrait et/ou du refus ?
Le Conseil d’État a récemment refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (CE, 7 octobre 2021, n° 451827) portant sur l’application des mécanismes d’annulation partielle et de sursis à statuer en matière de refus de permis de construire, au motif que ni le droit à un recours juridictionnelle effectif ni le principe d’égalité n’étaient susceptibles d’être atteints par la différence de traitement contentieux des autorisations d’urbanisme et des refus de ces dernières.
Il appartiendra au législateur d’évaluer l’opportunité de l’extension de tels dispositifs aux contentieux du refus et du retrait.
Voir également à ce sujet :
- Fabre Emilie, « Refus et retraits d’autorisations d’urbanisme : le trou béant dans la raquette de la régularisation », Opérations immobilières, mai 2021 ;
- Bonneau Olivier, Morot-Monomy Camille, « Refus "abusifs" » de permis de construire ? Pas de fatalisme, de la méthode et quelques outils », Gaz. Pal., mai 2021.
Abréviations
CGI : code général des impôts